Après avoir beaucoup prié et pleuré, Mme MIRAMONT se leva, s’approcha d’un petit bureau qu’elle avait dans sa chambre et, après avoir poussé un long soupir, elle se décida à écrire la lettre que voici :

Ma chère enfant,

Si ton bonheur en dépend, j’accepte tout. Je ne te fais aucun reproche ; tu peux compter sur le consentement de ta mère.

Tu te marieras donc sans moi. L’humble paysanne que je suis ne fera pas ombre dans ton brillant cortège.

Je ne sais quels sont les riches châtelains dont tu épouses le fils : Ils veulent bien consentir à ce que l’institutrice de leurs jeunes enfants devienne la femme de leur fils, mais ils désirent ignorer la veuve, trop simple et trop " petites gens ", qui s’est sacrifiée pour sa chère petite.

Que veux-tu, nous autres, humbles et ignorants, nous ne savons pas bien comprendre ces choses, et puisque tu y as consenti, c’est que tout est bien…

Adieu donc ! Selon ton désir, c’est la dernière lettre que nous nous écrivons.

Que Dieu te garde et que Dieu te donne le bonheur, s’il est possible.

" Ta mère qui t’embrasse tendrement. "

Françoise MIRAMONT

Le mariage eut lieu. Louise Miramont devint Mme Henry de Buis-Creux.

Devenue grande dame, elle s’habitua à vivre sans sa mère et sans nouvelle du village natal.

Cependant, dès qu’elle fut mère, un an après son hyménée, elle ne put pas, elle n’osa pas garder cette bonne nouvelle pour elle et, en cachette, elle le fit savoir à sa mère.

Son fils s’appelait René.

Ce fut un bonheur mêlé de tristesse pour la grand-mère.

Comme elle souffrait !

Chaque jour et sans le vouloir, chacun ravivait sa blessure en lui demandant des nouvelles de sa fille.

Depuis plus d’une année, elle répondait évasivement.

Ses phrases laconiques excitaient la curiosité de tous ; la malignité des gens et des meilleurs amis se donnait libre carrière.

On n’osait plus demander des détails à Mme Miramont, les premiers qui s’étaient cru autorisés à le faire n’ayant rien obtenu.

On savait maintenant qu’un petit René venait de naître chez les Henry de Buis-Creux.

- Vous devez être bien contente, Mme Miramont ! Disait-on à la grand-mère.

Elle souriait, puis essuyait furtivement quelque larme montée à sa paupière.

On n’y comprenait rien.

C’est le soir surtout, lorsqu’elle était seule dans sa chambre, que la mère de Louise donnait libre cours à sa douleur. Elle sanglotait.

" Je suis grand-mère, disait-elle, et je ne puis connaître mon petit-fils ! …. O ma fille ! …. Ma fille ! …. Si seulement je pouvais tenir René dans mes bras ! …. René, René mon enfant ! …."

Elle aimait à répéter ce nom, à tutoyer en rêve son petit-fils.

Elle tâchait de comprendre la joie des autres et de s’y associer.

- " Comment est-il, mon petit René ? …. Allons fais une risette à grand-mère… "

Elle fondait en larmes, on l’entendait murmurer : " Mon Dieu ! Mon Dieu ! …. "

Quand les fêtes de Noël approchèrent – Bébé devait avoir dix mois – la fierté fit faire à Mme Françoise Miramont une curieuse démarche.

On la vit, chaudement enveloppée d’un châle, se diriger vers le bazar de la Place Neuve de sa petite ville.

Et les gens disaient : " Elle va acheter des jouets pour son petit-fils. "

Mme Miramont fit lentement le tour des allées rectilignes du bazar, traversa le rayon des poupées, des polichinelles, des voitures anglaises, des chevaux, se disant toujours à elle-même :

" Que peut-on acheter à un bébé de dix mois ? "

Enfin, elle avisa une jolie boite remplie de moutons revêtus de pure laine blanche.

C’était très frais, c’était joli, c’était digne d’un riche… et René était riche !

Puis elle revint silencieusement chez elle.

Elle n’avait pas l’intention de les envoyer, ces moutons ; les aurait-on reçus là-bas ?

Elle les étala sur sa table et s’efforça de se figurer la joie du bébé :

- Tout cela, c’est pour toi, mon René… Ah ! Tu souris ! … Oui, prends-les à pleines mains… C’est cela… Boum ! En voilà un à terre ! …..

Et bientôt les blancs moutons furent mouillés de larmes.

Alors Mme Miramont recueillit soigneusement les jouets épars, y mit la date de l’année et plaça la boite sur le rayon le plus élevé de la grande armoire brune en chêne sculpté qui ornait sa chambre.

Le Nouvel-An n’avait apporté aucune nouvelle, aucun souhait à la grand-mère qui, durant de longs jours, avait guetté anxieusement le facteur.

Aux premières fleurs de mars, Mme Miramont compta que René allait avoir un an, sa première année dans le monde !

Quelle fête de famille et quels cadeaux au bébé !

Vite, elle courut au bazar ; elle voulait, elle aussi, la grand-mère, avoir pensé à son petit-fils.

Elle eut les mêmes hésitations devant les mille jouets suspendus au plafond ou alignés dans les vitrines.

Enfin, elle arrêta son choix sur une arche de Noé remplie de superbes animaux sculptés.

De nouveau chez elle, Mme Miramont ouvrit la boite, dispersa les animaux sur sa table, et la scène pénible du soir de Noël recommença :

- Allons René, amuse-toi ! … Vois ce loup, vois ce lion avec sa belle crinière…

C’était un spectacle bien triste, que Dieu seul voyait, cette femme aux cheveux blancs, jouant avec un enfant imaginaire.

Dans le pays, on savait les visites de Mme Miramont au bazar et les médisances – par lassitude peut-être – finirent par s’arrêter.

Dix années s’écoulèrent.

La grand-mère, fidèle à sa première pensée, ajoutait les jouets suivant l’âge de René, et après s’être figuré la réception de ses cadeaux par son petit-fils, elle les rangeait dans son armoire en leur donnant à tous une date.

Un matin, on trouva morte Mme Miramont ; une dépêche fut envoyée à l’adresse trouvée sur la table de nuit : Louise de Buis-Creux, rue d’Alsace à Paris.

Mais personne ne vint.

L’enterrement eut lieu, puis les scellés furent posés sur la maisonnette blanche.

Quelques jours après, cependant, une dame en deuil, accompagnée de son mari et d’un petit garçon, se présenta chez le notaire.

Il fallut remplir quelques formalités.

Louise (car c’était elle) – héritait de sa mère ; terrains et maison, tout lui appartenait ; une clause l’intrigua et surtout le petit René ; elle était ainsi conçue :

" Je donne à mon petit-fils, René de Buis-Creux, la grande armoire et ce qu’elle contient. "

L’enfant était impatient de voir ce dont il héritait ; l’énumération, en un bizarre style, des terres, vignes, prés, qui revenaient à sa mère, l’avait fait bailler.

Mais depuis que son nom avait été prononcé, il frémissait.

Il redressait sa petite taille, il se croyait un homme : Il était héritier !

Dès qu’on pût le satisfaire, on ouvrit la maison blanche.

Louise s’arrêta sur le seuil.

Un sentiment de honte qu’elle n’avait pas connu jusque-là, l’envahit soudain, et, pour la première fois depuis la mort de sa mère, elle versa des larmes.

Henry, à peine ému, examina minutieusement cette habitation villageoise, cossue et proprette, dont la simplicité ne manquait pas de distinction.

- C’est très bien, chez toi, dit-il à sa femme.

René disait à chaque instant :

- Maman, où est mon armoire ?

On se rendit à la chambre au premier étage, et Louise se sentit comme paralysée.

Le remords alourdissait sa démarche ; elle ne gravit l’escalier qu’en tremblant.

René s’était campé devant l’armoire brune.

Son père lui en faisait remarquer la beauté ; le fronton était une rose sculptée entourée de boutons et de feuillage ; les panneaux rappelaient les mêmes motifs.

C’était un meuble antique et rare qu’Henry de Buis-Creux montrerait avec orgueil à ses amis.

René, peu sensible à l’art du meuble, voulait qu’on ouvrît l’armoire.

Il la voyait grande et son contenu l’intriguait.

Louise n’osait rien toucher chez elle.

Les mains crispées, les yeux en larmes, elle était immobile devant le lit où sa mère était morte.

Elle essayait de prier….

Henry se décida à tourner lui-même la clé et à ouvrir les deux battants de l’armoire brune.

Il ne put réprimer un mouvement de surprise quand il vit ce qui emplissait le meuble.

René, avec cette intuition de l’enfance qui donne aux sentiments tant de spontanéité, s’écria :

- Ma pauvre grand-mère ! Comme elle m’a aimé !

Puis il resta devant ses trésors, longtemps, sans oser y toucher.

Tout était là, les petits moutons à blanche laine, l’arche de Noé… Il y avait des boites de construction, des chemins de fer sur rails, des quilles…. Il y avait un cheval à mécanique…

Le dernier rayon offrait aux regards une boite mystérieuse.

Chaque jouet avait un petit papier ainsi conçu :

" Mon petit René a un an… deux ans…cinq ans… René a six ans… huit ans… dix ans…. "

Un dernier petit papier était sur la boite mystérieuse.

On l’ouvrit ; une lettre cachetée était adressée à René :

" Mon cher petit-fils, je t’aime sans te connaître. Tu es à moi par ta maman que j’aime. Tu achèteras une bicyclette avec les deux cents francs que voici …. Ta grand-mère qui t’aime, Françoise Miramont. "

Cette fois, ce fut Henry qui pleura.

- La noble et digne mère que tu avais ! Murmura-t-il. Que nous sommes coupables ! Quelle honte et quelle ombre va peser sur notre vie ! ….. Si nous avions eu son pardon, au moins sur son lit de mort ! ….

Louise sanglotait ; elle ne pouvait pas parler ; René pleurait aussi disant :

" O ma bonne grand-mère ! "

Le soir était venu.

On avait tant de peine à se séparer de cette chambre !

Quel héritage d’amour profond si naïvement exprimé on y avait trouvé ! …..

Au moment de sortir, Henry aperçut un petit lit tout blanc.

- Louise, était-ce ton lit de jeune fille ?

- Oui.

- Tiens, il y a une lettre pour toi….

C’était la dernière lettre écrite par Mme Miramont à sa fille :

" Ma chère enfant, avant d’entrer auprès de Dieu dans l’Eternité, je te pardonne et je t’aime toujours. Donne à ton fils une éducation qui le rende capable de ne jamais mépriser les humbles. "

Les péché de la vieille Julie

La grande route serpente dans la vallée, puis monte insensiblement : Des champs… des champs à perte de vue….

Par ci par là, des bouquets d’arbres, quelques hameaux, quelques fermes isolées.

… D’un chemin de traverse qui aboutit à la route, une femme d’une soixantaine d’années, au visage bruni et ridé, s’avance, traînant par la main une gosse joufflue.

Ne la reconnaissez-vous pas ?

Mais c’est Julie, du Cambounet, ce village aux tuiles rouges qu’on aperçoit dans la verdure.

Elle monte à Roquebrune avec Constance, sa petite fille, car c’est soir de " prière. "

De gauche, de droite, de quelques sentiers, arrivent aussi de petits groupes.

Les Lucas de Pignolles, les deux filles Vernet….

Au carrefour de la croix, voici toute une troupe de jeunes du Fossel qui les attendent et viennent de faire une bonne lieue.

Les jeunes babillent gaiement.

Les vieux entourent Julie qui, toujours sérieuse, prend la tête de la bande en hochant la tête.

- Ah ! Mes pauvres amis, nos temps sont loin ! …. La jeunesse d’aujourd’hui est pervertie… nos jours sont comptés ! …. Qui sait si nous vivrons demain ! Ils n’ont pas l’air de songer au sérieux de la vie.

- Les gars ne pensent qu’à danser, qu’à courir les filles et ces petites ne valent pas mieux, pauvrottes, voyez-les-moi, couvertes de colifichets, c’est à qui aura la plus belle robe !

- Cette grande Vernet ? C’est à peine si la basse-cour de sa mère suffit à la nipper ! Ah ! Misère ! Misère ! Le Maitre viendra quand ils s’y attendront le moins ! Gare à ceux qu’Il ne trouvera pas veillant !

Et Julie sermonne, sermonne toujours, des bons conseils, des citations bibliques plein la bouche….

Mais voici un détour du chemin…

Par habitude sans doute, tous se taisent et les yeux se lèvent….

Ah ! Roquebrune, le bien nommé, ne ressemble pas aux autres villages.

Juché sur une colline, une des plus hautes d’alentour, il apparaît loin encore…

Son massif clocher se détache sur le paquet de vieilles masures en pierres noircies et effritées par le temps, et tombant à pic, les remparts à demi-cachés par le lierre et la vigne vierge lui donnent de loin l’aspect de quelque forteresse moyenâgeuse.

Les cloches tintent dans le lointain… se font plus rapprochées…

La place du village est déjà pleine de fidèles qui s’acheminent vers le temple.

On se hâte, et voilà enfin Julie installée au premier rang de la tribune, bien en évidence.

De sa poche, elle a tiré son cantique et chante aussi fort qu’elle peut, de sa voix criarde…

Julie, depuis qu’elle est toute petite, a fréquenté les saintes assemblées.

Jeune fille… Jeune femme, puis grand-mère, elle a voulu être considérée comme la première, la meilleure chrétienne de sa paroisse.

Elle est si zélée ; dès que dans une famille il y a un malade, un mourant, Julie change de robe, laisse la ferme à sa belle-fille et part les admonester.

Si quelqu’un prête à la critique, Julie se charge de lui dire son fait.

Et pourtant, Monsieur le pasteur soupire parfois, en songeant à la vieille Julie.

N’est-elle pas seulement une formaliste ?

Une chrétienne par l’extérieur ?

N’y a-t-il pas dans son cœur, un gros interdit qui lui voile la face de son Sauveur, qui fait sa piété sèche et stérile ?

Orgueil ! Orgueil spirituel !

Qui lui fait si bien voir la paille dans l’œil de son prochain !

Quand donc Julie aura-t-elle les siens grands ouverts sur son propre péché, sur son indignité ! …..

Quelques semaines passent.

Les champs dorés sont prêts pour la moisson…

Par une chaude journée, une femme descend cette fois, du village….

C’est encore la vieille Julie……

Elle revient du temple, c’est dimanche, le travail ne presse pas ; aussi va-t-elle doucement, presque en flânant.

Elle songe que, demain, de bonne heure, il lui faudra prendre le petit train, au carrefour des routes, car sa belle-sœur de Toulouse va mal et désire la voir.

Que pourrait-elle bien lui porter dans son panier ?

Car à la ville, on n’arrive jamais les mains vides.

Un poulet ? c’est trop cher en ce moment ; mieux vaut le vendre à la prochaine foire.

Un fromage ? il n’y en a pas de fait.

Des œufs ? on les garde pour le repas, le jour où on dépiquera.

Quoi donc alors ????

Juste à ce moment, Julie prend la traverse, elle est dans les terres de Chanteloup.

Ils en ont de la chance, ces Durand !

Les arbres fruitiers ploient sous le poids des fruits et près de la haie, un superbe pêcher excite depuis longtemps l’admiration de Julie….

Tiens, voilà qui ferait plaisir à la malade, de si belles pêches, si juteuses ! ….

Si elle en prenait deux ou trois…. Les Durand en ont tant, qu’est-ce que cela leur ferait… ?

La tentation se fait plus forte….

Julie jette une coup d’œil à droite, à gauche, ….personne.

Toute la famille est encore à Roquebrune pour un bon moment, les femmes font les emplettes de la semaine, les hommes sont au café.

Il ne reste à la ferme que la vieille grand-mère et les tout petits.

Julie traverse donc la haie, et cueille une, deux, trois pêches, encore celle-ci qui est si grosse, encore celle-là, si duvetée ; en voilà une qui parait mûre à point, cette autre est si belle, ce serait dommage de la laisser !

Et petit à petit, le tablier de lustrine se remplit….

Julie s’en va calmement, emportant sa cueillette.

Le dimanche suivant, de retour de Toulouse, notre vieille amie se prépare pour monter au culte.

Mais elle est toute éplorée : Figurez-vous qu’elle a égaré son cantique !

Depuis un bon quart d’heure, elle fouille partout sans pouvoir le trouver….

Elle va être en retard…. Tant pis, elle part.

Dignement, elle s’assied à la tribune….

Mais il lui semble qu’on la regarde….

Le pasteur indique un psaume et tous les yeux se braquent sur elle.

Eh ! Bien, quoi ! Rien ne l’empêchera de chanter ; les psaumes, elle les sait par cœur et elle entonne de sa voix chevrotante.

Mais on chuchote derrière elle, et, à son oreille, la grande Vernet lui dit :

- Mère Julie, où donc est votre cantique ?

Courroucée, elle lance un coup d’œil terrible à la jeune insolente.

De l’autre côté, la petite Lucas lui demande en pouffant :

- Et votre cantique, la Julie ?

- Julie a perdu son cantique, entend-elle murmurer dans les fous rires mal étouffés…

- Ah ! Misère, misère, pense-t-elle… la jeunesse d’aujourd’hui !

Mais tous reprennent leur sérieux, car le pasteur lit le Décalogue :

" Tu n’auras pas d’autres Dieux… tu ne feras… tu ne … Souviens-toi…Honore… Tu ne…. Tu ne… (tous écoutent dans le demi-sommeil de l’habitude) … Tu ne déroberas pas, scande la voix grave du pasteur… " Les pêches de ton voisin ", souffle un mauvais plaisant derrière les chanteuses.

… Julie a entendu et son cœur se serre, elle rougit, elle pâlit….

Ah ! Elle comprend maintenant pourquoi on se moque ! Julie, la pieuse Julie est déshonorée ! Elle a dérobé et on le sait !

Elle fait peine à voir, la pauvre femme, et son vieux visage décomposé est le reflet de son cœur en émoi.

Comment a-telle pu traverser la place et prendre le chemin du retour, au milieu des rires malveillants et des réflexions de tous ces misérables galopins, elle se le demande, la malheureuse, en rentrant à Cambounet.

Elle n’osera plus jamais remonter à Roquebrune.

Une si bonne chrétienne ! Si considérée, il a fallu bien peu de chose pour la précipiter du haut de son piédestal.

- Jeunesse impitoyable, pense-t-elle, tu ne pardonneras pas à la pauvre Julie cette peccadille et tu vas te venger de toutes ses critiques, de tous les jugements sévères qu’elle a portés sur ton compte….

Elle souffre, elle pleure, elle gémit.

Mais elle ne s’humilie pas encore…

Comment a-t-on pu le savoir ?

Qui donc l’a vue ?

Voilà surtout ce qui la tracasse.

La vieille, gardant les vaches dans le pré, entend un jour les chiens aboyer et la sonnerie d’une bicyclette…

Elle a bien envie de se cacher… Mais les chiens sont si sauvages, ils se précipitent furieux vers le cycliste… Il faut pourtant qu’elle les retienne….

- Ici Faro, ici Noiraud !

Ils n’écoutent pas… Alors sans réfléchir, elle leur court après et comme ils vont plus vite qu’elle, la vieille attrape son sabot… Vlan !

Faro s’arrête l’oreille basse… Vlan ! Noiraud revient …

Et maintenant, nu-pieds, elle est obligée d’aller au-devant du pasteur qui lui ramasse en souriant ses galoches….

Eh ! Bien, madame Verdal… Heureusement que vous êtes arrivée ! un peu plus et ils m’auraient bel et bien dévoré, fait-il en plaisantant.

Ce ton rassure notre bonne femme.

Elle introduit son visiteur dans la grande cuisine si fraiche.

Pourtant, après avoir envoyé la petite Constance à sa place garder les bêtes, quand elle se trouve seule avec le pasteur, le cœur lui bat…

Lui, simplement, sort de sa poche un livre et le pose sur la longue table massive.

- Madame Verdal… je viens vous remettre ce cantique… On l’a trouvé dans le domaine de Chanteloup…, sous un pêcher…

Il n’achève pas, Julie éclate en sanglots !

En cueillant les pêches, le cantique a dû glisser de sa poche et comme son nom est écrit en grosses lettres, les Durand ont eu vite fait de savoir qui avait dévalisé leur pêcher !

Le vénérable pasteur la laisse pleurer….

Elle essaye de s’expliquer.

Pour quelques malheureuses pêches avoir perdu ainsi l’estime de tous, le bénéfice de si longues années de vie chrétienne !

Et elle sanglote….

Le ministre de Dieu prend la parole….

C’est le moment d’ouvrir les yeux de Julie sur son propre cœur.

Dans son Nouveau Testament, doucement il lit (Luc 11 : 39 à 44) :

" Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat…. Malheur à vous, Pharisiens, parce que vous aimez la première place dans les synagogues et les salutations dans les places publiques… "

Et pendant que la vieille femme, effondrée, s’assied sur le banc et cache dans ses mains son pauvre visage si honteux, il lui parle avec amour :

" Julie, vous êtes une brave femme, mais depuis des années vous avez jugé les autres et vous aviez trop d’indulgence pour vous.

Comme celui des autres, comme le mien hélas ! Votre pauvre cœur est la proie du péché. Si vous vouliez enfin, Julie, vous humilier, rentrer en vous-même et faire le compte de tous vos manquements à l’égard de Dieu, vous verriez que vous n’avez été bien longtemps qu’une formaliste.

" Ma pauvre amie, bénissez cette occasion de voir clair en vous. Vous n’avez eu conscience de votre péché que parce qu’on a su, combien d’autres fois n’avez-vous pas en cachette… dans le secret même de votre âme, offensé Dieu ?

" Humiliez-vous, Julie. Ce que Dieu vous demande, c’est le don complet de votre cœur, le renoncement à vous-même, la disparition de votre orgueil spirituel… et alors votre Sauveur vous ouvrira tous grands ses bras de pardon et d’amour. "

Julie à compris…

Elle est devenue si humble, sa piété, sincère maintenant, rayonne tant dans ses yeux si heureux, que tous lui ont rendu leur estime et cette fois, elle ne la perdra plus.

MARCHAND

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