Ils se sont donnés eux-mêmes
2 Corinthiens 8 : 5
Ces derniers dimanches, nous avons parlé ensemble, en nous appuyant sur des textes bibliques, de plusieurs vérités importantes concernant la vie intérieure.
Il a été question du silence, de la confession, de la direction ; je voudrais vous parler aujourd’hui d’un quatrième point : L’abandon.
Si cette expression ne se trouve guère dans la Bible, nous y rencontrons d’autant plus l’acte lui-même.
Je n’ai qu’à rappeler les nombreux endroits où il est dit que nous devons aimer Dieu de tout notre cœur, le chercher de tout notre cœur, le servir de tout notre cœur.
Toujours l’accent tombe sur ce mot tout.
Nous voyons clairement que Dieu ne se contente pas d’un demi-service, d’un demi-amour, et qu’il ne partage avec personne.
Ses promesses aussi sont liées à ce mot tout, par exemple dans le magnifique passage : " Vous me trouverez si vous me cherchez de tout votre cœur. " (Jérémie 29 : 13).
Mais, à mon avis, le plus beau verset exprimant la vérité dont nous parlons aujourd’hui se trouve dans la deuxième épître aux Corinthiens : " Ils se sont donnés eux-mêmes. "
Paul s’adresse aux Corinthiens et parle des Eglises de la Macédoine, en mentionnant la collecte faite pour les pauvres de Jérusalem.
Nous voulons partir du fait que Dieu est notre Créateur.
Cette vérité se trouve exprimée, nous le savons, dans le premier article de notre Confession de foi.
De là, nous pouvons déduire tout naturellement que nous appartenons à Dieu.
Ce qu’un homme a créé est à lui. Nous admettons cela même quand il s’agit de ses pensées.
Là aussi, nous reconnaissons le droit d’auteur et nous garantissons la propriété intellectuelle.
Or le péché n’est autre chose qu’une révolte contre le Créateur.
Chaque péché est un manque de soumission à celui qui, étant notre Créateur, est aussi notre Maître.
C’est donc une tentative que je fais pour me diriger moi-même, pour être mon propre maître.
Chaque péché est un acte impie, un peu de paganisme, car dans chaque péché, quelque chose devient pour nous plus important, plus grand que Dieu.
Et ce qui me paraît plus important que Dieu devient mon idole.
Une conversion n’est, au fond, qu’un retour à l’obéissance, un retour à notre propriétaire ; nous reconnaissons alors que Dieu est l’autorité suprême, nous abandonnons ce que nous lui avons préféré, ce qui était devenu notre idole.
Constatons d’abord ceci : Nous sommes tous païens, d’une manière ou d’une autre.
Nous avons tous nos idoles que nous vénérons et que, comme jadis Rachel, nous emportons avec nous, que nous cachons parce que nous n’aimerions pas les perdre.
Et l’idole que nous adorons le plus, celle que l’on retrouve partout, c’est le Moi.
Vouloir être comme Dieu, tel fut l’écueil où sombra le premier couple humain.
Faire sa propre volonté, ne pas se subordonner à la volonté de Dieu, ne pas s’occuper de Dieu, être séparé de lui, c’est là le péché du monde.
Il est clair, dès lors, que nos relations avec Dieu sont troublées, ébranlées jusque dans leurs fondements.
C’est comme entre parents et enfants ; là où la désobéissance est flagrante, où l’enfant méprise la volonté de ses parents, et fait consciemment ce qui leur déplaît, la vie de famille est empoisonnée, les relations de confiance sont dissoutes, les deux parties souffrent.
Les parents sont tristes, parce que l’enfant s’éloigne d’eux, et l’enfant, bien qu’il soit arrivé à faire ce qu’il veut, n’est pas heureux.
Peut-être que les parents continuent à lui donner ce qu’il faut pour la vie extérieure, les vêtements et la nourriture, mais ce qu’ils ont de meilleur, leur amour, leur cœur, leur bénédiction, ils ne peuvent plus le donner.
Voilà ce qui arrive quand nous désobéissons à Dieu.
Nous avons peut-être le nécessaire, mais nous sentons qu’il y a une rupture entre Dieu et nous.
Il nous manque la confiance en lui, la joie, la bénédiction que Dieu donne.
Et cette douloureuse constatation nous amène à poser une question, qui devient le centre de nos préoccupations : " Que puis-je faire pour retrouver Dieu, pour qu’il me redonne sa bénédiction ? "
La réponse sera : " Je dois redevenir obéissant, je dois faire la guerre aux idoles qui me séparent de Dieu ; je dois livrer tout cela, le lâcher, l’abandonner. Je dois réellement, consciemment, renoncer à m’affirmer devant Dieu. Je dois chercher le point où ma volonté lui résiste encore, et faire le sacrifice sur ce point-là. "
Lorsque les Celtes belliqueux de l’Irlande, ayant passé au christianisme, se faisaient baptiser, ils avaient l’habitude, en plongeant dans l’eau, de lever le bras droit, pour que celui-ci ne fût pas touché par l’eau du baptême, car ce bras droit, qui tenait l’épée, devait être soustrait aux lois de Jésus-Christ.
Nous faisons des tentatives semblables : Il y a quelque chose que nous ne voulons pas abandonner ; nous donnerons tout, sauf cela.
Et c’est justement cette chose à laquelle nous avons tant de peine à renoncer que Dieu exige.
Il ne tient pas autant à ce que nous avons donné qu’à ce que nous retenons encore, car cela, c’est notre idole, qui nous sépare de lui.
Quelque part nous faisons des réserves, des exceptions, des compromis.
Nous voulons garder pour nous tel ou tel domaine de la vie ; il y a un membre que nous ne voulons pas plonger dans l’eau.
Et cette petite portion de notre être est en révolte contre Dieu, et compromet nos relations avec lui.
Qu’en était-il de Siegfried ?
Lorsqu’il se trempa dans le sang du dragon et devint ainsi invulnérable, une feuille de tilleul tomba sur son épaule, et cette place, que le sang ne pouvait pas toucher, resta vulnérable ; c’est là qu’il fut atteint par la lance de Hagen.
Nous faisons la même expérience : Ce que nous n’avons pas donné reste notre point sensible, et c’est là que la mort nous frappera.
Dans le domaine spirituel, il faut être radical ; les compromis et les réserves sont des dangers mortels.
Les médecins, de nos jours, se donnent une peine infinie pour découvrir le foyer d’une maladie, en examinant partout le corps de leur patient.
Que d’analyses, d’examens, de radiographies, d’auscultations sont nécessaires pour trouver les causes du mal !
C’est ainsi que nous devons analyser, ausculter, percuter notre Moi.
Il faut y faire pénétrer les rayons impitoyables de la vérité, pour découvrir quelles sont les places vulnérables, quelle parcelle de notre être nous n’avons pas encore abandonnée.
Je sais que je ne dis rien de nouveau ; depuis qu’il y a des chrétiens, il y a ce combat contre le péché.
Mais, semble-t-il, l’Eglise a commis la faute de parler du péché d’une façon trop générale, et les chrétiens individuellement commettent la même erreur.
Cela commence déjà dans la prière du soir que font nos enfants : " Pardonne-moi le mal que j’ai fait aujourd’hui. "
Cette prière est trop vague. Nous devons appeler par leur nom les péchés de la journée.
Nous devons subdiviser l’interminable front ennemi en différents secteurs, et combattre contre ceux-ci.
Nous devons nous attaquer à un péché tout à fait défini et le vaincre.
Celui qui combat contre le péché en général ne combat point du tout.
Quand nous faisons l’ascension et la conquête d’une montagne, nous avançons pas à pas.
Nous devons faire l’ascension de la montagne de mal qui nous sépare de Dieu ; pas à pas, nous devons vaincre cette montagne, en apporter les fragments à Golgotha.
Je crois que nos insuccès dans la lutte contre le péché proviennent surtout de ce que nous ne faisons pas simplement un pas après l’autre ; nous nous laissons hypnotiser par ce chemin interminable qui s’appelle la sanctification.
Ce chemin demande des pas innombrables, donc nous préférons ne pas même commencer, nous négligeons le premier pas.
Une deuxième faute, c’est que nous mésestimons l’importance des petits péchés.
Nous ne nous disons pas que, souvent, un tout petit caillou dans le soulier nous empêche d’avancer.
Dans le domaine technique, nous jugeons différemment : Nous savons qu’un grain de poussière peut arrêter la montre, qu’une mince bande de papier peut interrompre le courant électrique.
Et pourtant, le même fait se produit dans le monde de l’esprit.
La peur, par exemple, est un péché, parce qu’elle ne compte pas avec Dieu.
Le désordre est un péché, parce que l’Esprit Saint est un esprit d’ordre, et que le désordre est un obstacle qui empêche la force de Dieu d’agir.
Et la nervosité, hélas ! Combien souvent elle est un péché, parce qu’elle est la conséquence d’une attitude négative, d’un manque de foi en la vie.
L’inquiétude est un péché, parce qu’elle s’efforce de porter le fardeau de l’avenir, ce qui est contraire à la volonté de Dieu.
C’est un péché que de faire un programme pour organiser sa vie, car c’est ne pas vouloir admettre la direction de l’Esprit Saint.
Les préjugés sont des péchés, car par nos préjugés, nous critiquons ce que nous ne connaissons pas.
C’est un péché que de se cramponner au passé : Ceux qui font cela adorent le passé comme une idole.
Être satisfait de soi-même et de ses relations avec Dieu est un péché, parce que cela peut signifier une dépréciation du don de la grâce.
La jalousie est un péché, parce qu’elle vient de l’exaltation du Moi.
Le nationalisme devient un péché, quand nous le mettons au-dessus du Christ au lieu de le lui subordonner.
Même la fatigue peut être un péché, quand elle vient d’un manque d’ordre et d’organisation.
Nous pourrions continuer ainsi et allonger la liste.
Et ce serait toujours la même chose : Le culte du Moi, la préférence donnée à la créature et non au Créateur.
Ainsi des livres, des talents, des amitiés, des goûts, des choses tout à fait inoffensives en elles-mêmes sont devenues des péchés, des idoles, parce qu’elles ont joué un rôle trop grand dans nos vies, parce qu’elles étaient plus importantes que Dieu.
Il s’agit, par conséquent, de commencer par des choses futiles, en apparence, qu’il faut abandonner, sacrifier à Christ.
Sacrifier !
Cette expression nous est peut-être antipathique.
Elle nous rappelle l’Ancien Testament, le culte juif, qui ne nous attire guère.
Et pourtant, là où l’on parle de religion, il faut parler de sacrifice.
Il n’y pas de religion qui n’implique, sous une forme ou sous une autre, l’idée du sacrifice.
La religion chrétienne ne peut pas s’en passer non plus, non seulement parce que Christ s’est sacrifié pour nous, mais parce que nous devons, nous aussi, faire des sacrifices.
Ces sacrifices sont de deux sortes.
Nous pourrons, si nous voulons adopter le langage de l’Ancien Testament, les appeler l’holocauste et l’offrande.
L’holocauste serait l’abandon de nos habitudes coupables, de nos chaînes, de nos penchants, que Dieu doit brûler, comme les sarments secs qu’on coupe et brûle dans les vignes.
L’offrande serait l’abandon de nos talents, de nos qualités, de ces dons précieux que nous avons cultivés et développés pour nous-mêmes, et que nous mettons maintenant à la disposition de Dieu, pour qu’il les utilise dans son Royaume.
Comprenons bien ceci : Abandonner ces choses ne veut pas dire les perdre définitivement, mais les mettre au service d’intérêts supérieurs.
Ce que nous avons donné au Roi, il nous le rend comme un fief.
Et plus nous avons été honnêtes en faisant le sacrifice, - il s’agit aussi de notre argent et de nos biens matériels, - plus vite il pourra nous le confier à nouveau.
Bien entendu, dans chaque sacrifice, il est question de sang.
Un sacrifice ne vaut que s’il fait couler le sang de nos cœurs.
C’est pourquoi les prophètes s’indignaient contre les sacrifices des Juifs, dont le culte avait dégénéré ; le sang des bêtes coulait, et non celui des cœurs.
On offrait des sacrifices matériels afin de pouvoir garder pour soi sa propre personne.
Ainsi le sacrifice était vide.
Il était un symbole dont personne ne comprenait plus le sens et derrière lequel il n’y avait plus rien.
Il était devenu une forme vaine.
Ce que nous appelons abandon est tout autre chose.
Il s’agit ici d’une parcelle de notre être, du sang de notre cœur. Souvent d’une parcelle seulement !
C’est dire que c’est trop peu. Le but, c’est le sacrifice total, c’est l’abandon complet, dont il est question à propos des chrétiens de la Macédoine : " Ils se sont donnés eux-mêmes. "
Seulement nous savons que ce sacrifice complet ne se fait guère dans la vie de tous les jours.
Il s’agit bien plutôt de beaucoup de petits sacrifices partiels et quotidiens.
Nous nous méfions de ce soi-disant sacrifice total, si nous ne le constatons pas dans mille petits renoncements.
Combien de missionnaires, de diaconesses, de moines et de nonnes ont fait en apparence ce sacrifice total, et bientôt nous découvrons que sous le bonnet ou la robe, le Moi continue à vivre et à prospérer !
Voyez, c’est pour cela que, malgré notre texte si impressionnant et bien que la table du Seigneur soit préparée pour nous aujourd’hui, je ne voudrais pas exiger ce sacrifice total, mais plutôt redire ceci : Donnons une chose tout à fait concrète, dont nous n’aimons pas à nous séparer, dont nous savons qu’elle risque de se mettre entre nous et Dieu ; donnons au moins cela complètement.
Ne cherchons pas à rivaliser d’héroïsme, faisons aujourd’hui seulement le premier pas, mais faisons-le sans hésiter.
Et si nous nous demandons : " Que dois-je abandonner ? "
Mettons-nous en présence de Dieu, dans le silence ; ce qui nous viendra à l’esprit alors, toujours de nouveau, c’est cela qu’il faut sacrifier. Donnons-le complètement.
On a déjà célébré d’innombrables services de Sainte Cène, avec des gens impressionnés, qui se sont joints à la confession générale des péchés, qui ont reconnu, d’une façon générale, que bien des choses devraient changer, qui ont emporté du culte toute une série de bonnes résolutions, qui étaient sincèrement affligés en pensant à la déchéance de l’Eglise et de ses membres, à leur propre misère.
Mais, chose étrange, rien n’a été transformé !
Par contre, rares sont les services de Communion où des chrétiens individuellement ont nommé par son nom le péché qui les séparait de Dieu, ont offert à l’autel et déposé sous la croix du Sauveur quelque parcelle définie de leur être, quelqu’une de leurs chaînes, quelque don matériel.
Je sais positivement que rien ne réjouirait autant celui qui nous invite aujourd’hui à sa table qu’un sacrifice tout à fait concret, tout à fait personnel.
Mieux valent dix hommes faisant le premier pas que cent qui projettent un voyage autour du monde.
Mieux valent dix hommes apportant une poignée de fruits que cent qui en promettent chacun une cargaison.
Et je sais encore une chose : Si ceux qui s’approchent aujourd’hui de la table du Seigneur offrent leur sacrifice de tout leur cœur et l’abandonnent tout à fait, une grande bénédiction résultera de ce jour, de cette heure.
Ce sera le début d’un mouvement dont les cercles s’étendront de plus en plus.
Nous, chrétiens blasés, suralimentés, serons stupéfaits de voir comment le Règne de Dieu avance, quelle force il y a aujourd’hui encore dans le plus petit sacrifice, offert d’un cœur sincère.
Si, aujourd’hui, nous faisons sérieusement le premier pas, nous verrons demain et après-demain quel est le pas suivant à faire.
Et à chaque pas, Dieu nous montrera un nouvel aspect de son Royaume et de nouveaux trésors.
Chaque sacrifice nous enrichira, chaque goutte de sang versée nous donnera une nouvelle vie.
Nous voulons donc avancer pas à pas sur le chemin du sacrifice.
Et pour finir, le jugement prononcé sur nous, comme sur les Eglises primitives de la Macédoine, sera cette parole magnifique : " Ils se sont donnés eux-mêmes. "