Deux mères
I
Le salon est élégant, chaud, agréable, avec un épais tapis pour amortir les bruits des pas, de lourds rideaux d’Orient, des meubles de style ; espacée sur la tenture, des tableaux de maîtres dans leurs cadres d’or ; des bibelots charmants, des fleurs pleins les vases, un bon feu dans la cheminée, tous les raffinements du luxe et du confort.
Mais M. et Mme Darlaud, assis près du feu, face à face, dans ce beau salon moderne, sont tristes, car il y a plus de nuages sur leurs physionomies que dans le ciel gris d’hiver aperçu à travers la fenêtre.
Monsieur tisonne lentement, du geste distrait d’un homme qui a sa pensée ailleurs.
Madame, renversée dans son fauteuil, tient dans ses mains deux petits souliers d’enfant, des souliers de satin blanc à nœuds et elle les embrasse, et elle pleure.
Malgré leur fortune, malgré leur intérieur brillant, ces gens sont malheureux.
La gaité du foyer s’est envolée, les rires ont cessé de retentir dans l’appartement, le bonheur s’est retiré de leurs âmes – depuis que l’enfant est mort.
Cette gaité, ces rires, ce bonheur, c’était lui.
Quatre ans, brun et rose, et déjà fort, et si intelligent, et si bon, ne tirant jamais la queue du chat, ni les oreilles de Tom l’épagneul, un chérubin doux et mignon, en qui se résumaient pour le père et la mère toutes les espérances d’avenir.
Pour la mère surtout, c’était une idole !
Comme elle en était fière, lorsque, les beaux après-midis, elle le menait promener dans les vastes allées des Tuileries, toujours habillé de blanc et de bleu, ses couleurs favorites.
Quelle joie de le voir sauter, gambader, jouer à la balle ou au cerceau, et rire de si bon cœur devant le guignol !
Qui aurait supposé que lui, fort, plein de vie, serait si vite enlevé !
Cet après-midi là encore, elle l’avait conduit dans le jardin public, et il s’en était donné de courir et d’être heureux, tandis qu’elle écoutait la musique, tout en le surveillant avec sollicitude.
Ils étaient rentrés à la maison et Georgie n’avait pas voulu dîner.
Il se plaignait de la tête. On l’avait couché, il s’était endormi. Et voilà qu’au milieu de la nuit elle avait été réveillée par des gémissements.
L’angelet se tordait dans son lit, déjà terrassé par le mal.
On avait aussitôt cherché le médecin, qui avait prononcé de grands mots scientifiques, tout en hochant la tête.
Et malgré tous les soins, malgré les pleurs et les prières de la mère affolée, l’enfant mourait le lendemain.
Et avec lui toute la joie, tous les rêves, toutes les espérances.
Était-ce bien possible qu’il fût là, parmi les fleurs, endormi pour toujours ?
Oui, c’était vrai, et les hommes noirs étaient venus, qui l’avaient emporté.
Le silence, un silence de tombeau s’était établi dans cet intérieur où, autrefois, tous les échos répétaient des chants d’allégresse.
On ne parlait plus qu’à voix basse, on marchait sur la pointe des pieds, le piano restait fermé, on sentait que la mort avait passé là…
Depuis lors, des mois s’étaient écoulés sans apporter d’apaisement.
La plaie était toujours aussi vive dans le cœur de la mère, la même douleur lui déchirait le sein, et par cet après-midi d’hiver, assise au coin du feu, ces souvenirs revenus un à un la comblaient d’amertume, et elle baisait avec plus de passion et plus de désespoir les petits souliers de satin blanc ornés de rubans bleus.
M. Darlaud, triste aussi, voulut essayer de la consoler un peu :
- Ne pleure pas ainsi, chère amie, tu me fais mal.
Mais elle n’avait pas l’air d’entendre.
Il s’approcha, lui prit la main, essuya les larmes qui ruisselaient sur ses joues pâles :
- Prends courage, je t’en prie. Il ne faut pas s’abandonner au chagrin, cela ne sert de rien, hélas ! et ne ramène pas ceux qui se sont envolés.
- Je ne puis pas, je ne puis pas autrement ! murmura-t-elle, puis comme si l’atmosphère de cette chambre l’eût étouffée, elle se leva brusquement.
- Laisse-moi pleurer à mon aise, mon ami. Cela me soulage. Je veux sortir, marcher…
- Sortir ! mais il fait froid.
- N’importe ! j’ai besoin d’air…
- Mais il neige ! tu vas prendre mal…
- Non, non, ne m’empêche pas… je reviendrai bientôt…
Elle s’enveloppait dans sa fourrure, mettait un voile sur son visage, et, malgré les prières de son mari, elle descendit dans la rue.
Sa douleur avait besoin de mouvement, d’une marche forcée, elle pensait que le froid, le vent glacé, calmeraient un peu sa fièvre, que le spectacle des choses extérieures la détournerait un peu du martyre intérieur qui la dévorait.
Chez elle, avec ce ciel gris entrevu à travers la fenêtre, le chagrin l’écrasait, elle s’engourdissait dans les pleurs – dans cette chambre il y avait trop de souvenirs, les meubles que l’enfant avait touchés, le tapis où il avait marché, tout rappelait trop le même navrant souvenir.
Le passé si doux et si beau – et maintenant disparu pour jamais, empoisonnait son cœur d’un trop amer regret…
II
La voilà dans la rue.
Le temps est affreux, un vrai jour de décembre.
Les arbres sans feuilles se dessinent à l’encre de chine sur un ciel brouillé, d’où la neige tombe, froide et mélancolique.
Pourtant la ville est pleine de bruit, d’un va-et-vient de voitures, d’omnibus, de piétons.
On approche de Noël.
Les magasins ont renouvelé leurs étalages où brillent toutes les merveilles de l’art et de l’industrie.
Et Mme Darlaud, en passant devant les boutiques de jouets, se sent plus désolée encore.
L’an dernier à pareille époque, elle se promenait avec Georgie dans les mêmes rues, elle s’arrêtait avec lui aux mêmes étalages, et ses exclamations joyeuses, ses désirs naïvement exprimés, ses convoitises d’enfant, qu’elle était heureuse de les satisfaire par les cadeaux de Noël !
En voyant les polichinelles, les bateaux, les chemins de fer, les tambourins, les chevaux, elle pense à Georgie et que la fête venue, il n’y aura plus d’achats à faire pour l’enfant, plus de Noël, dans la maison vide !
A quoi bon sortir ! Cette promenade la consolerait-elle ? Est-elle moins triste, moins désespérément triste ?
Et voilà que ses pas ont pris machinalement le chemin des Tuileries.
C’est la première fois qu’elle y retourne depuis la mort qui l’a brisée.
Le jardin est désert, silencieux, les arbres sont couverts de givre, sur le sol la neige s’étend en nappe blanche ; les statues, les tritons et les naïades des bassins grelottent sous le vent aigre qui souffle en rafales !
Pas de bonnes en coiffes blanches, pas de mères brodant sur les chaises en fer, au pied des arbres, pas de bébés tourbillonneurs, et le guignol est fermé.
Mais là, sous ce gros marronnier, accroupis contre le tronc rugueux, une femme et un enfant sont serrés l’un contre l’autre.
La femme est misérablement habillée ; pas de châle, une mince robe de cotonne, les mains toutes bleues de froid.
Et bleues aussi les menottes de l’enfant qui est brun, quatre ans peut-être, joli comme Georgie, mais la figure si triste, si peureuse…
En le voyant, quelque chose s’est ému dans le cœur de Mme Darlaud.
Elle s’approche : - Que faites-vous là ?
La pauvresse, d’abord, ne répond pas.
- N’ayez pas peur, dit encore Mme Darlaud. Répondez-moi.
Alors elle parla, les dents serrées par le froid, toute secouée de frissons.
- Je suis veuve, sans appui, sans travail. Je n’ai pas pu payer mon logement, et le propriétaire m’a renvoyée ce matin. Pas d’argent, personne qui veuille m’occuper – que vais-je devenir ?
Je n’ai pas même la force d’aller plus loin… je n’ai pas mangé depuis hier, et le petiot n’a eu qu’une croûte de pain… je crois que le plus simple serait d’aller me jeter à l’eau avec lui ! …
- Ne dites pas cela ! s’écrie Mme Darlaud, en qui des remords s’éveillent.
Elle se reproche sa douleur égoïste, quand il y a tant d’autres douleurs ignorées, tant de mères qui gémissent, tant d’enfants qui manquent de tout !
Elle compare sa position à celle de cette femme et elle s’accuse d’ingratitude envers Dieu, d’oubli des bienfaits qui lui ont été accordés.
Elle mesure la différence, et, pour la première fois, un sentiment de pitié véritable s’est emparé d’elle.
Quoi ! Elle pleurait, elle se lamentait, elle accusait le ciel, lorsqu’il y a des femmes sans travail, sans logis, sans pain, des mères qui parlent de se tuer avec leur enfant !
Sans doute, Georgie était mort, Dieu le lui avait repris, mais sa vie avait été heureuse, il n’avait manqué de rien, tous les soins, tous les bonheurs l’avaient entouré, il n’avait rien connu de la misère et de la douleur !
Et elle avait pu combler tous ses souhaits, le voir toujours sourire !
Georgie ! Comme ce pauvre petit lui ressemblait pourtant, avec ses grands yeux doux et ses belles boucles brunes !
Et comme les habits du pauvre mort lui iraient bien, les habits blancs à rubans bleus, qu’elle avait jalousement conservés.
Oui, elle avait été ingrate, elle s’était absorbée dans son chagrin, sans songer que d’autres souffraient de froid et de faim, sans voir la pauvreté sur son passage, sans chercher à soulager un seul malheureux !
Et c’est pourquoi sa douleur restait si amère… oui, ce devait être pour cela !
La femme la regardait anxieusement :
- Venez ! lui dit Mme Darlaud, tout à coup.
A sortir du jardin, elle héla un fiacre, fit monter avec elle la mère et l’enfant, et donna son adresse au cocher.
Quand elle rentra dans le salon, M. Darlaud était assis devant le feu, tisonnant toujours avec mélancolie.
- Mon ami, dit-elle, j’ai trouvé la consolation.
Et la voilà faisant servir à manger à la femme et au petit, jetant du bois au feu… puis elle ouvre une armoire, elle sort les habits de Georgie, elle cherche ses jouets…
Maintenant l’enfant est habillé bien chaudement, et grâce à la nourriture, grâce à la bonne chaleur, ses joues sont devenues roses, ses yeux brillent, toute sa petite figure rayonne de nouveau, comme rayonnait celle de Georgie quand il vivait.
La femme surprise, ravie, rit, pleure tout à la fois, et ne peut que répéter :
- Oh ! madame ! madame, sans vous nous dormions peut-être ce soir dans la Seine !
- Vous voyez, il ne faut jamais désespérer !
Et, aidée de son mari qui jouit de son bonheur, Mme Darlaud fait un grand paquet des habits et des joujoux.
Oh ! comme elle bénit la promenade, et comme elle comprend bien qu’elle a vraiment trouvé le remède, que la charité sublime console du bonheur perdu :
- Vous logerez ici, et demain, je m’occuperai de vous trouver un abri et de quoi gagner votre vie ... soyez sans inquiétude…
Puis, devant le regard interrogateur de la femme, que cette bonté étonne :
- J’étais mère aussi, j’avais un enfant, comme celui-ci… je ne l’ai plus… mais je veux que le vôtre ne manque de rien.
Et la voilà qui sourit, la mère qui pleurait naguère.
Il lui a semblée entendre au fond de son cœur une voix d’enfant, une petite voix douce et aimante, la voix de Georgie – qui murmurait :
- Merci.
Georges REMY
La pages des mères
Le " Home "
Une maison s’achète ou se loue ; on peut la faire construire sur des plans parfaits ; rien n’y manque pour l’avoir commode, agréable, confortable.
On peut la meubler avec luxe et avec un goût exquis, y vivre à son gré, y recevoir des amis…. Mais ce n’en sera pas, pour cela, ce que nos voisins les anglais appellent le home.
Le home c’est où l’on aime, et où l’on est aimé, où l’on est soi sans autre contrainte que le respect mutuel, sans masque et dehors d’apparats ; c’est où l’on se dévoue et partage les peines et les joies des siens.
Pour les parents c’est le nid qu’ils ont fait et où ils élèvent leurs enfants ; pour les enfants c’est le paradis.
Le home est une atmosphère ; l’amour y règne en maître.
Qu’il soit luxueux ou humble, qu’on y soit riche ou pauvre, peu importe.
Le home est indépendant des circonstances extérieures.
Tout le monde peut avoir une maison, mais ni l’argent, ni les meubles, ni même les personnes ne font le home.
C’est ce qui y est répandu, ce qu’il inspire.
Avec certaines personnes, on n’est jamais " at home " (à la maison) ; elles vous glacent ou vous énervent, et le cœur se replie au lieu de se dilater. On peut être " chez soi " sans être " at home. "
C’est la femme qui crée le home ; il dépend de sa personnalité plus que de tout autre élément.
La femme, la mère en est le centre et donne au home son ton, son atmosphère.
Si la femme est acariâtre, ce n’est plus un home, c’est un enfer ; si elle est froide, c’est une glacière ; si elle est désordonnée, c’est un taudis !
Oh ! que de bonheur – ou de malheur ! – émane de la femme !
Aussi, comme le grand sage (le roi Salomon dans la Bible) loue la femme vertueuse d’où dépend la prospérité de sa maison et même la considération de son mari, et flétrit la femme querelleuse et irritable !
" Le vrai charme du home – a dit Hamilton Mabie – est dans l’indéfinissable atmosphère qui y est répandue, une atmosphère faite des personnalités qui y vivent, des tableaux qui garnissent ses murs, des livres qui couvrent ses tables, de tout ce qui l’orne et le meuble et qui révèle du goût, de la culture, du caractère. "
Et il ajoute : " Je me considèrerais heureux si on pouvait se souvenir de mon home pour ce qu’il inspire, pour quelque qualité de foi, de charité, d’intelligence qui vise aux hauteurs. "
Montrez le meilleur de vous aux vôtres.
C’est une vieille admonition, mais on ne peut assez la répéter ; montrez-vous sous le meilleur jour aux vôtres, par votre toilette, vos manières, votre esprit.
La vie est trop courte pour en perdre de saintes heures à critiquer, censurer, dire et faire ce qui cause de la peine.
Il ne nous reste que quelques courtes années à passer dans le cercle de famille avant qu’il ne se brise par les mariages, les départs, la mort…
Si la mémoire du temps passé ensemble doit être pour nous un précieux souvenir, remplissons-en les heures de tout ce qui est affectueux, généreux et noble.
L’influence chrétienne sur les enfants
Un monde, et peut-être le plus grand, qui s’ouvre devant nous pour le service chrétien, c’est l’enfance.
Les fous savent aussi bien que les philosophes que les enfants sont modelés par l’influence dominante qu’ils subissent pendant la période plastique de la vie, et le corollaire spirituel de ce fait nous prouve que c’est à nous qu’il appartient de créer une atmosphère religieuse, dans laquelle nos enfants s’élèveront dans la crainte du Seigneur et l’obéissance à ses commandements.
La première institution que l’Eternel établit fut la famille, la seconde fut l’Etat, la troisième l’Eglise.
Le cercle domestique est le sein d’où est né la civilisation, c’est la mère des états et de l’Eglise.
C’est là qu’il faut poser les fondations de la rédemption du monde et de l’évolution du monde vers une vie meilleure.
Quand Christ a dit : " Laissez les petits enfants venir à moi ", il a converti la famille en église et a apporté le royaume de Dieu dans la famille.
Quand vous introduisez Dieu, et Christ, et la Bible et la voix de la prière, et une conscience éclairée dans la famille, vous faites pour Dieu l’œuvre la plus fructueuse et de portée la plus grande qu’il soit au pouvoir de l’homme mortel de faire.
Le chant d'une mère
C’était une délicieuse vieille dame, une femme d’intelligence, de bonne éducation, d’excellent jugement, de vraie délicatesse.
Aussi étions-nous enchantées de l’avoir au milieu de nous, à une réunion des mères où l’on discutait s’il est bon de chanter aux enfants pour les endormir en les berçant sur les genoux et nous fûmes reconnaissantes à notre présidente de lui demander son avis.
Un sourire se joua sur son beau visage ridé quand elle mit de côté le petit chausson qu’elle tricotait et dit :
Chères jeunes mères, permettez-moi de vous raconter une petite histoire – une histoire vraie.
Elle a résolu pour moi, il y a bien longtemps, cette question toujours contestée, et elle pourra vous être utile aussi.
Quand j’étais jeune fille, mon amie intime était une belle jeune fille, fort douée, dont les parents étaient riches.
Elle possédait une voix remarquable qui fut soigneusement cultivée sous la direction des meilleurs professeurs, et quand, à l’âge de vingt-trois ans, elle se maria et quitta le toit paternel, elle avait la réputation d’être une cantatrice accomplie.
" Je la vis peu après son mariage, mais nous entendions souvent parler de sa voix merveilleuse et de son succès dans la haute société, et quand j’appris qu’elle avait donné naissance à un fils, je me demandai qu’elle sorte de mère allait être cette femme tant adulée.
" L’enfant avait environ dix-huit mois quand j’eus le plaisir de revoir mon ancienne amie, et jamais je n’oublierai ma première visite dans la " nursery " de son premier-né.
Le robuste et beau bambin s’élança dans les bras de sa mère quand nous entrâmes ; mais au bout d’un moment, l’enfant, dont c’était l’heure du sommeil quotidien, se nicha contre le sein maternel en disant : " Chante quelque chose de joli, maman. "
" Aussitôt, sa mère le berça doucement sur ses genoux, et la claire et riche voix qui avait si souvent tenu sous le charme un auditoire de connaisseurs, remplit la pièce de la douce mélodie d’une vieille et charmante berceuse.
Mes yeux étaient si pleins de larmes que je pouvais à peine distinguer le gracieux tableau que formait la mère avec son bébé, mais je buvais la musique, heureuse de me sentir convaincue que mon amie était digne du saint nom de mère.
" Après avoir soigneusement couvert le petit dormeur dans son lit, elle se tourna vers moi et dit :
" - Vous me trouverez peut-être ridicule, mais j’ai pris l’habitude de l’endormir ainsi en chantant au moins une fois par jour ; il en jouit tellement ! "
La vieille dame interrompit un moment la narration, puis continua ;
" Bien des années après, en voyageant, je me trouvai pour quelques jours à Vienne, quand j’appris qu’un chanteur de renom était descendu au même hôtel que moi. On me dit :
" C’est le célèbre ténor, M…, d’Amérique ; le connaissez-vous ? "
" Eh oui, je le connaissais ; c’était le fils de mon ancienne amie et camarade d’école.
Je savais aussi que sa mère si douée n’était plus de ce monde.
" Je le vis souvent pendant mon séjour à Vienne.
Quel magnifique spécimen de noble virilité ! les richesses, le succès, la flatterie ne l’avaient rendu ni arrogant, ni égoïste. Sa mère avait été une femme féminine ; lui, était un homme viril.
" Dans ma dernière entrevue avec lui, je m’accordai une des libertés permises aux vieilles gens et le priai de me chanter quelque chose.
" - Que vous chanterai-je ? demanda-t-il.
Je répondis : " – Chantez-moi votre air de prédilection, je vous prie.
" Il hésita un moment tandis que son visage prenait une expression tendre et sérieuse.
" - Mon air de prédilection est un petit chant bien simple, dit-il, et je ne le chante guère que quand je suis seul, car il est en quelque sort sacré pour moi, et les étrangers ne l’apprécieraient peut-être pas. Mais vous m’avez demandé mon air de prédilection, et je vais vous le chanter…. Vous connaissiez et aimiez ma mère… donc vous comprendrez.
" Il alla au piano et joua un prélude plaintif ; puis, d’une voix contenue mais merveilleuse, il chanta la même berceuse que j’avais entendu sa mère lui chanter autrefois, quand il n’était encore qu’un bébé.
" Ceci, mesdames, est ma réponse à votre problème. "
Elle reprit son tricot tranquillement et se remit au travail.
En effet, la question était bien définitivement résolue, du moins pour ce qui me concernait.