Comment Perle échappa aux bandits
Récit authentique
Hwa-Ku était une petite fille chinoise.
Ce nom signifie Perle fleurie, mais on l’appelait Perle pour aller plus vite.
Elle fut bien, bien contente, le jour où l’on renversa l’idole de la cuisine pour mettre à la place une grande croix rouge.
Cela voulait dire que son père et sa mère avaient " mangé " (avaient cru) à la vraie doctrine du Seigneur Jésus dont elle, la petite Perle, avait entendu parler à l’école de son village.
C’était une enfant éveillée, habile de ses mains et elle pouvait tresser de jolis paniers et fabriquer des sandales de paille.
Son grand frère savait faire toutes sortes de nœuds mais Perle était presque aussi habile que lui et savait surtout bien les défaire.
Quand sa maman avait noué son fil, elle appelait toujours Perle à son aide car la fillette défaisait le nœud comme par magie.
Il y avait dans leur district un grand nombre de soldats qui n’aimaient pas les chrétiens et des voisins avaient dit au papa de Perle, le fermier Wong, de remettre l’idole de la cuisine à sa place.
Mais M. Wong voulut rester fidèle à son Sauveur, quoi qu’on dise qu’il pourrait être battu et même tué à cause de ses convictions.
Peu de temps après, les soldats firent une incursion dans le village, volant les poulets et les canards et tuant les pauvres paysans qui leur résistaient.
Perle, comme les autres enfants du village, restait enfermée à la maison.
Mais les bandits vinrent aussi visiter sa petite maison au sol de terre battue.
- Regardez ! Regardez ! cria l’un d’eux, en montrant la croix rouge. Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Nous sommes des disciples de Jésus, répondit le papa de Perle, avec fermeté. Nous gardons toujours cette croix à cet endroit pour nous rappeler que Jésus-Christ est mort pour nos péchés et pour sauver le monde tout entier.
Le soldat parut intéressé ; d’autres se joignirent à lui, qui voulurent en savoir plus long et c’est avec bonheur que M. Wong se mit à raconter la vieille histoire de l’amour de Jésus à ces hommes rudes et sauvages.
Après cela, ils partirent sans rien emporter.
Perle comprit alors que Dieu entend et exauce la prière de Ses enfants.
Pendant quelque temps, le calme revint dans le village, mais d’autres bandits arrivèrent.
La mère et le frère de Perle furent envoyés loin, en sécurité, mais la petite Perle resta à la maison avec son père, pour aider la vieille grand-mère qui était aveugle.
Un jour, de bon matin, les tambours des temples d’idoles se mirent à battre pour avertir que les bandits arrivaient.
M. Wong fut fait prisonnier, enchaîné et emmené par les bandits.
Mais en passant dans un champ, ils virent un buffle qui paissait.
Comme en fouillant le fermier, ils n’avaient trouvé sur lui aucun argent, ils trouvèrent qu’il serait plus avantageux d’emmener le buffle qu’un pauvre homme.
Comme ils n’avaient qu’un morceau de corde avec eux, ils détachèrent M. Wong et le laissèrent aller puis ils attachèrent le buffle.
Après le départ de son papa, Perle et sa grand-mère s’étaient agenouillées pour supplier Dieu de le faire relâcher.
Tout à coup, quelques hommes pénétrèrent dans la maison, la fouillèrent et emportèrent quelques objets.
Ils prirent la petite fille et lui attachèrent les mains avec une longue corde.
La grand-mère eut beau pleurer et supplier qu’on n’emmène pas sa petite fille, les soldats se moquèrent d’elle et la menacèrent de la tuer si elle continuait à intercéder.
La pauvre petite Perle était très effrayée et elle se demandait ce qui allait lui arriver.
On la mit, avec beaucoup d’autres petites filles qui avaient déjà été enlevées, dans un temple d’idoles, avec la menace que si elles essayaient de s’échapper, elles seraient fusillées.
Couchée dans un coin sombre, gardée par deux hommes, Perle pria.
Elle savait que Dieu pouvait la délivrer, même en cette extrémité et quand tout espoir semblait perdu.
- Seigneur, mon Dieu, aide-moi et montre-moi ce que je dois faire pour sortir d’ici !
Pendant ce temps, la corde pénétrait dans sa chair et meurtrissait ses mains car elle la faisait glisser doucement de haut en bas, comme elle pouvait.
A un moment donné, elle sentit que le nœud se relâchait ; alors avec ses bonnes petites dents, elle acheva le travail et eut bientôt une main libre.
Il lui était facile après cela de libérer l’autre main.
La souffrance était grande mais elle était bien contente d’être débarrassée de la corde et se félicitait d’avoir toujours eu de petites mains fines.
Regardant autour d’elle, elle vit la grille extérieure à demi ouverte et le bandit qui la gardait, profondément endormi à côté.
Tout doucement, elle quitta le temple rempli d’ombre et se trouva près de la porte.
L’homme était couché en travers, son fusil chargé près de lui et il semblait qu’il allait se réveiller à tout moment.
Une prière sur ses lèvres, Perle enjamba le bandit et se mit à courir de toutes ses forces.
Elle connaissait tous les petits sentiers des collines des environs, car elle allait souvent chercher du bois avec son père.
La lune brillait, aussi rentra-t-elle dans le village par un chemin secret, opposé au temple.
Son père et sa grand-mère étaient à genoux quand Perle frappa à la porte.
En un instant, elle fut ouverte et M. Wong reçut sa fille dans ses bras.
- Dieu m’a rendu ma petite Perle, dit-il en la pressant sur sa poitrine.
Il a répondu à nos prières d’une façon si merveilleuse.
N’est-il pas écrit dans le Saint Livre " qu’avant même qu’ils aient ouvert la bouche, je répondrai ? "
Perle n’oublia jamais cette expérience mémorable qu’elle eut avec les bandits et cela la fit grandir jour après jour dans une foi inébranlable en son Père céleste qui entend véritablement les cris de Ses enfants et qui les délivre au moment de la détresse.
Amelia STOTT
(Traduit du Sunday School Times)
Utilité d'une fille
Dans la préfecture de Kia-Ying-tcheou, province de Canton, vivait un nommé Tchang Tsu-yin, dont la femme était née Li.
Celle-ci ayant donné naissance à une fille, on remplit d’eau une seille dans l’intention de la noyer.
A ce moment l’enfant poussa des vagissements si plaintifs, que les parents, émus de pitié, changèrent d’avis et l’élevèrent.
Arrivée à l’âge de dix ans, ils la vendirent à un M. Wang comme future belle-fille.
Bientôt après éclatèrent les troubles qui marquèrent la chute de la dynastie des Ming, ce qui détermina Tchang Tsyu-yin a émigrer dans la province de Kwei-tcheou.
Or, il arriva que l’époux de sa fille ayant été nommé préfet, se vit assigner son poste dans cette même province.
Cette contrée était alors infestée par un chef de brigands, qui portait le même nom que le père de son épouse, ce qui fit qu’un jour on amena ce dernier comme étant le véritable coupable.
Le soir, le préfet Wang mentionna au sein de sa famille l’importante capture qu’il croyait avoir faite.
Sa femme, entendant le nom du brigand, fut saisie de frayeur : " Mais c’est le nom de mon père ! s’écria-t-elle ; ne pourrait-il pas y avoir une erreur ? Du reste, ce serait facile à contrôler, puisque mon père portait une excroissance à la tempe droite. "
Le lendemain, le préfet ordonna d’amener le prisonnier, et découvrit, en effet, la particularité mentionnée par son épouse.
Il la fit appeler et lui fit voir l’accusé de derrière un paravent.
Elle le reconnut aussitôt et, s’élançant vers lui, se jeta dans ses bras en sanglotant.
Le préfet n’eut aucune difficulté à constater la méprise dont son beau-père avait été l’objet.
Il le garda dès lors auprès de lui et fit également amener sa belle-mère.
Il y avait deux fils, que les parents avaient, dans leur détresse, vendus comme esclaves ; il les fit libérer et leur donna des emplois dans sa préfecture.
Tous deux atteignirent, dans la suite, des grades élevés, l’un dans un emploi civil, l’autre dans le service militaire.
C’est ainsi que la famille entière dut son bonheur à cette fille.
Si ses parents avaient exécuté leur dessein de la noyer, comment la méprise aurait-elle pu être découverte et la famille rester réunie ?
Une bonne fille vaut donc bien un bon fils.
Si des parents se considèrent comme trop pauvres pour en élever, qu’ils les nourrissent du moins jusqu’à l’âge d’un ou deux ans, pour les vendre ensuite soit comme futures belles-filles, soit comme esclave, mais que pour rien au monde ils ne les noient !
Traduit du chinois par M. PITON
Tante bonheur
Nos lecteurs savent tous combien les mœurs des Chinois diffèrent des nôtres, et ils se figurent sans peine quelle foule de particularités intéressantes une étude un peu détaillée de la vie de ce peuple étrange pourrait nous présenter.
Ne pouvant tenter d’embrasser le sujet dans son ensemble, nous nous bornerons pour aujourd’hui à parler de la vie des femmes, et nous le ferons en vous racontant tout simplement la biographie d’une personne devenue chrétienne à la fin de sa vie, et fort connue l’un de nos missionnaires en Chine.
Ce récit confirmera, ce que nous savons déjà, que le rôle de la femme est très inférieur et très effacé dans les conditions de la vie ordinaire, en Chine.
La mode absurde de lui déformer et atrophier les pieds, par une torture violente, avec la prétention de les rendre ainsi plus mignons, persiste toujours, et cette infirmité, qui ne permet de marcher qu’avec peine et en vacillant, ajoute à la dépendance dans laquelle ce sexe est tenu par un régime qui arme le mari du droit de répudier et même de vendre sa compagne, dès lors qu’elle lui déplait.
Ceci dit, prenons maintenant connaissance de la biographie de tante Bonheur.
" Je suis née, dit-elle, à Koï-tao, village du district de Po-leng, province de Canton.
Mon père y tenait un petit magasin de mercerie et j’étais là plus jeune de sept enfants.
Quand j’eus atteint l’âge de sept ans, je fus fiancée, pour la somme de 40 francs, à un jeune homme de Nam-leng, village situé à vingt minutes de Koï-tao.
Jamais je n’avais vu ni mon futur époux, ni personne de sa famille.
" En quittant le toit paternel pour me rendre dans ma nouvelle demeure, je n’emportais rien que la jaquette et le pantalon dont j’étais vêtue.
Ma mère et deux femmes qui avaient servi d’entremetteuses m’y accompagnèrent.
Lorsqu’elles repartirent, je me démenai comme une forcenée, demandant à grands cris qu’on me laissât retourner avec elles.
La mère de mon époux me dit de ne pas pleurer, puisque sa maison devait dorénavant être la mienne ; mais je continuai à beaucoup pleurer pendant de longues années, et ne cessai même entièrement que lorsque j’eus un fils.
" La famille dont je faisais désormais partie se composait des grands-parents, des parents, des oncles et tantes de mon fiancé, puis de ses quatre frères et leurs femmes.
J’étais le plus jeune membre de la famille.
A mon arrivée on m’avait désigné celui des fils qui devait un jour devenir mon mari.
Mais quoiqu’il fût assez bien de figure, il me déplut et me sembla très vieux, car il avait neuf ans de plus que moi, qui n’en avais que sept.
" Pendant trois ans je n’aperçus pas ma mère ; elle craignait qu’en la voyant, je ne me remisse à pleurer.
La nuit, je dormais toujours avec ma belle-mère ; le jour, je mettais en bobines le coton que mes belles-sœurs avaient filé et qu’elles tissaient ensuite.
J’étais ainsi occupée du matin jusqu’au soir, sans autre interruption que les repas.
La nourriture était abondante, et l’on ne me punissait à coup de verges que lorsque je m’assoupissais pendant le travail.
" Une fois l’an, un de mes frères venait me voir ; mais il ne s’arrêtait que peu de minutes, de peur que la nostalgie ne me reprit, s’il parlait trop longtemps avec moi.
Quand j’eus atteint l’âge de onze ans, on me permit pour la première fois de revoir la maison paternelle.
J’y restai quatre mois, et dès lors je répétai ma visite chaque année jusqu’à l’époque de mon mariage.
" Pendant tout ce temps, je n’ai jamais parlé avec mon fiancé, et il ne m’adressait la parole que pour me donner des ordres.
C’est quand j’eux atteint l’âge de quatorze ans que je devins sa femme sur l’ordre de sa mère.
Dès lors je fus chargée de cuire le riz, de soigner les porcs et de faire d’autres travaux pour la famille.
Auparavant, j’avais appris à filer, à tisser, à coudre et à faire la cuisine.
" Mon mari ne m’a jamais appelé de n’importe quel nom. S’il voulait que je fisse quelque chose, il se contentait de dire : " Hé, là, " et je savais que c’était à moi qu’il s’adressait. "
" A l’âge de seize ans, j’eus une petite fille. Mes larmes tarirent pendant quelque temps.
Il est si doux de presser sur son cœur un premier enfant, et mon mari ne m’en voulait pas trop, pour cette première fois, de l’avoir rendu père d’une fille ; seulement, il ne fallait pas, disait-il, que cela se répétât. "
Quand l’époque de ses secondes couches approcha, la tante Bonheur fut bien vivement préoccupée.
Elle redoubla de zèle dans ses pratiques religieuses, fit force vœux, offrit une foule de sacrifices aux idoles qu’elle avait coutume d’adorer.
Elle ne manqua pas non plus de consulter les devins aveugles qui passaient devant sa maison.
Et lorsqu’on eut constaté que ce second enfant était encore une fille, que de regards courroucés furent jetés à la mère !
Que de paroles amères vint blesser ses oreilles maternelles !
Elle put même constater le profond dépit qu’on ressentait à son égard par la quantité réduite de la bière douce et fortifiante qu’on fait boire aux accouchées, et par le petit nombre de poulets qu’on saignait pour sa nourriture.
Ses larmes recommencèrent à couler de plus belle et à tomber brûlantes sur la pauvre créature qu’elle pressait sur son sein.
Aussi quand, trois ans plus tard, tante Bonheur dut avoir un troisième enfant, son mari et ses parents l’ayant prévenue que si c’était de nouveau une fille, on ne l’élèverait pas, se souvenant d’ailleurs de telle de ses compagnes d’enfance répudiée pour avoir trop tardé à mettre au monde un fils, de telle autre qui s’était vue supplantée par une seconde femme pour la même raison, l’infortunée mère, au désespoir de voir ses espérances encore une fois trompées, se saisit du fruit de ses entrailles et l’étrangla de ses propres mains.
" Quel monstre ! " vous écrierez-vous, ami lecteur, et il vous semble que vous ne sauriez avoir assez d’indignation contre cette multitude de mères chinoises qui se rendent coupables de pareils attentats.
De tels sentiments, certes, sont naturels et louables, et nous ne pouvons qu’y souscrire pour ce qui nous concerne.
Mais il est juste, cependant, de présenter à nos lecteurs d’Europe certaines explications qui atténueront peut-être à leurs yeux la criminalité de la coutume chinoise.
La préférence que les Chinois manifestent pour leurs fils prend sa source dans les idées que se fait ce peuple sur l’état de l’homme après la mort.
Ils croient que dans son état d’outre-tombe, il éprouve les mêmes besoins que pendant sa vie terrestre.
Il lui faut de la nourriture, des vêtements, en un mot tout ce que nous considérons comme nécessaire à notre bien-être ici-bas.
Mais pour la satisfaction de ces besoins, il doit s’en remettre aux descendants qu’il laisse sur cette terre.
C’est à eux qu’il incombe d’y pourvoir par des sacrifices réguliers.
On brûle sur la tombe des morts quantité d’objets fabriqués en papier et qui sont censés se changer en objets réels.
De cette manière, on procure aux parents et aux aïeux une félicité parfaite, tandis que s’ils en étaient privés ils tomberaient dans une misère indescriptible.
On comprend donc l’intense désir des Chinois de n’être jamais privés de descendants qui puissent offrit sur leur tombe les sacrifices dont dépend leur bien-être éternel.
Or ces sacrifices ne peuvent être offerts que par les fils ; car les filles, en se mariant, passent dans la famille de leur époux et deviennent ainsi incapables de les offrir.
De là la joie des parents à la naissance d’un fils et leur chagrin à la venue d’une fille.
De là aussi la cruelle pratique de l’infanticide des filles, pratique répandue à divers degrés dans presque toute la Chine.
Après ces explications, laissons tante Bonheur reprendre son récit.
" A mes trois premières filles, dit-elle, succédèrent trois garçons, qui furent suivis d’une nouvelle fille.
A l’âge de quarante ans, j’avais neuf enfants.
Mon mari était d’un bon caractère et ne se montrait pas très dur envers moi.
Pendant les quarante années que j’ai vécu avec lui, il ne m’a battue que quatre ou cinq fois, quand j’étais trop lente à le servir ou que je répliquais lorsqu’il me grondait.
Du reste, sur mille hommes il n’est est pas dix qui ne battent pas leurs femmes.
" Peu à peu les gens âgés de la famille moururent, ainsi que tous mes enfants à l’exception de trois.
Quand j’eus cinquante-quatre ans, c’est-à-dire il y a dix ans, mon mari mourut également.
Bientôt après je tombai malade.
Ce fut alors que j’entendis pour la première fois parler de l’Evangile de Christ.
Mon neveu, A-leng, qui l’avait entendu annoncer à Swatao, venait souvent me raconter ce que le missionnaire disait, savoir qu’il n’y a qu’un seul Dieu, qui est le Créateur de toutes choses.
" Petit à petit, j’ajoutai foi à ses paroles et je détruisis l’urne à encens dont nous nous servions pour adorer nos faux dieux.
Quand mes fils me la virent jeter hors de la maison, ils me demandèrent si je n’avais donc point peur de m’attirer la colère des divinités que j’avais adorées jusqu’alors.
Je leur répondis que ce que j’avais moi-même établi, je pouvais bien le défaire, sur quoi ils ne dirent plus rien.
Après cela je priai Dieu de me donner la force nécessaire pour aller à Swatao recevoir le baptême.
" Le premier jour de communion qui suivit, je dis à A-leng que je l’accompagnerais.
Il était alors le seul chrétien de Po-leng ; sa mère et sa femme le battaient souvent parce qu’il adorait le vrai Dieu, en quoi leurs voisins ne manquaient pas de les approuver hautement.
A-leng me croyait trop faible pour entreprendre ce voyage ; néanmoins, en marchant très lentement je parvins à franchir mes douze lieues de chemin et je pus être baptisée.
Dès lors, il m’est possible de faire cinq à six lieues par jour pour annoncer l’Evangile dans les villages d’alentour.
Personne ne m’inquiète quand je parle de Dieu ; ceux qui ne croient pas se bornent à écouter en silence. "
Le missionnaire BURNS
Quelle est, vous serez-vous dit, ami lecteur, en jetant les yeux sur notre grande gravure, quelle est cette étrange figure, moitié chinoise, moitié européenne et à l’accoutrement très particulier ?
Et aussitôt vous avez compris que vous étiez en face d’un personnage exceptionnel, original et dont il devait y avoir à vous dire bien des choses intéressantes.
Cette première impression ne vous aura pas trompé, si vous voulez bien prendre connaissance de l’esquisse abrégée que nous allons vous donner de sa vie.
William Burns naquit en 1815 à Dun, en Ecosse, où son père était pasteur.
Le futur missionnaire était un enfant léger et insouciant, turbulent et vif ; son plus grand bonheur était d’être initié par les paysans du voisinage aux mystères de la l’agriculture.
En saisissant toutes les occasions de s’échapper pour aller courir les champs ou la montagne, le jeune Burns obéissait évidemment à l’instinct de la nature ; il faisait provision de santé et de forces pour l’avenir.
Cela ne l’empêcha pas de faire par la suite d’excellentes études et de rentrer dans la maison paternelle chargé de prix.
Il aurait voulu se livrer à l’étude du droit, mais une vocation intérieure toute-puissante l’entraina bientôt vers la carrière pastorale et même vers celle des missions.
Toutefois le célèbre prédicateur Mac Cheyne, qui partait pour son voyage en Palestine, lui ayant demandé de le remplacer dans la chaire de Dundee, ce jeune prédicateur de vingt-quatre ans déploya aussitôt une puissance extraordinaire et telle qu’on n’en avait pas vu de semblable depuis les jours de Wesley et de Whitfield : des multitudes accouraient chaque dimanche de plusieurs lieues à la ronde, et les forces du prédicateur semblaient grandir avec les circonstances.
A Kilsyth, le village où son père était pasteur, l’émotion de l’auditoire éclata en pleurs, en sanglots, et la réunion qui durait depuis onze heures du matin fut terminée à trois heures de l’après-midi par le chant d’un psaume.
Après que le chant eut cessé et que le silence se fut rétabli, Burns donna la bénédiction à l’assemblée, qui ne paraissait nullement disposée au départ, et convoqua un meeting pour le soir à six heures.
Durant les semaines qui suivirent, des meetings avaient lieu tous les soirs tantôt dans le temple, tantôt sur la place publique ou au cimetière, lorsque le temps le permettait.
Dans tous les villages de la vallée, des réunions journalières de prières s’étaient formées spontanément, où jeunes gens et vieillards s’unissaient pour rendre grâce à Dieu et implorer la continuation de ses faveurs.
Burns avait dû retourner à Dundee ; mais en son absence, l’œuvre continuait sous la direction de son père et de quelques ministres amis, accourus à son aide d’Edimbourg et de Glasgow.
Telle fut l’origine de ce réveil religieux qui fit grande sensation en Ecosse, où pareil mouvement ne s’était pas vu depuis de longues années.
Lorsque Mac Cheyne revint de Palestine et reprit ses fonctions pastorales, Burns, rendu à la liberté de ses mouvements, entreprit une tournée d’évangélisation qui le conduisit d’abord à Perth, où il fut forcé de prolonger son séjour pendant plusieurs mois.
Un soir, le service avait commencé à six heures ; à dix, Burns donnait la bénédiction à l’assemblée au milieu d’une émotion indescriptible et voulait se retirer.
Mais l’escalier de la chaire avait été envahi par la foule, et personne ne bougeait.
Force lui fut de recommencer, et une partie de la nuit s’était écoulée lorsqu’il put enfin prendre congé de ses enfants spirituels, qui pleuraient parce qu’ils craignaient de ne plus revoir son visage.
A Aberdeen, ses succès ne furent pas moins grands.
Il alla ensuite évangéliser les Highlanders des montagnes, puis dans la plaine les habitants des villes de Newcastle, d’Edimbourg et de Dublin, en réponse à des appels réitérés dans lesquels il crut reconnaitre la voix de Dieu.
Mais nous devons renoncer à esquisser en détail l’activité de l’illustre prédicateur, dont la parole puissante obtenait partout des succès vraiment extraordinaires.
A la requête des Eglises de Montréal, William Burns se décida à partir pour l’Amérique et à renvoyer encore l’exécution de ses projets missionnaires.
A son arrivée à Montréal, il se trouva dès le premier jour au milieu d’anciennes connaissances.
Le 93ème régiment des Highlanders, avec lequel il avait eu de fréquents rapports pendant son séjour à Aberdeen, y était en garnison, et il eut la joie de constater que ses prédications avaient eu des effets durables sur la vie et les habitudes de ces militaires.
Aussi les officiers firent-ils au prédicateur une réception cordiale.
Les casernes lui furent ouvertes ; il pouvait s’y rendre à toute heure et tenir des meetings avec les divers régiments plusieurs fois par semaine.
Toutes les chaires de la ville avaient été mises à sa disposition, et il en profita pour réveiller le zèle alangui des Eglises.
Les hôpitaux reçurent aussi ses visites.
Mais les prêtres ne le laissèrent pas longtemps agir à son gré ; des bandes d’Irlandais furent ameutées contre lui ; sa vie courut plus d’un péril, mais rien ne pouvait l’arrêter.
Il parcouru aussi tout le Bas-Canada, prêchant dans les rues, dans les auberges, dans les maisons, dans les champs.
Au bout de deux ou trois mois il s’exprimait en français presque aussi aisément que dans sa langue maternelle.
Seulement au bout de deux ans il se sentait complètement épuisé, et il dut revenir quelque temps se reposer dans la maison paternelle.
Les essais de propagande auxquels Burns s’était livré à Dublin n’avaient pas eu de succès, et la campagne qu’il venait de faire au Canada au milieu des catholiques avait achevé de lui démontrer son inaptitude à une œuvre qui demande des qualités d’une nature spéciale, entre autres un talent de controverse qu’il n’avait pas du tout.
Ses premières impressions au sujet de l’œuvre missionnaire lui revinrent avec force, et après une année de visites dans tous les lieux où il avait jadis annoncé l’Evangile et où il fut reçu par une suite d’ovations, apprenant que l’Eglise presbytérienne d’Angleterre se disposait à entreprendre une mission en Chine, il se rendit à l’assemblée de son Synode à Newcastle et, dans un discours pathétique, enthousiasma à ce point la réunion que, séance tenante, le Synode se prononça en faveur de la mission.
- Quand serez-vous prêt à partir ? lui demanda-t-on.
- Demain, répondit Burns.
On le consacra donc le lendemain à l’œuvre missionnaire, et vingt-quatre heures après il partait pour Londres sans avoir revu les membres de sa famille.
Les cinq mois qu’il dut passer sur la vaste mer ne furent pas perdus.
A l’aide d’un dictionnaire et d’une traduction chinoise du Nouveau Testament, il était parvenu à se rendre maître des éléments de la langue qui devait être désormais la sienne pendant plus de vingt ans, et le vaisseau n’avait pas encore jeté l’ancre que le bouillant missionnaire était à l’œuvre.
Deux mois plus tard, il avait fondé une école qui comptait une douzaine d’élèves, et faisait chaque jour un culte pour les gens du voisinage.
Mais bientôt, brûlant du désir d’évangéliser la Chine proprement dite, il quitte l’ile de Hong-Kong et s’enfonce dans l’intérieur des terres, sans se soucier des interdictions promulguées par le gouvernement chinois.
Il s’arrête sous un camphrier, dont les larges feuilles interceptent les rayons brûlants du soleil, ouvre la Bible qu’il portait sous son bras et fait à haute voix la lecture.
On l’écoute en silence ; ses explications, ses appels sont reçus avec faveur ; et quand la lassitude l’oblige à terminer son discours, un des assistants lui offre de la nourriture, un autre lui donne à boire, un troisième l’emmène dans sa chaumière pour y passer la nuit.
Mais il se voit fréquemment en butte à la malveillance des mandarins, aux attaques des voleurs, à la défiance causée par son costume européen.
Aussi, en vue de faciliter son œuvre, se décida-t-il dès cet instant à adopter le costume chinois.
Il fit venir un barbier qui lui rasa la tête en ne laissant qu’une touffe sur l’occiput, pour y suspendre la longue queue qui fait l’orgueil de la race chinoise.
Puis il endossa la grande jaquette à manches bouffantes et le jupon piqué qui tombe sur la cheville.
Il n’eut plus qu’à se coiffer d’un chapeau de paille à larges bords et qu’à s’armer de l’inséparable parasol pour ressembler à un chinois, autant que le lui permettait le caractère septentrional de sa physionomie.
Grâce à cette métamorphose, il put dès lors parcourir librement les régions les plus reculées sans provoquer sur son passage des démonstrations par trop tumultueuses.
Maitre de la langue chinoise, vêtu comme un homme du pays, Burns acquit peu à peu une influence extraordinaire sur les habitants de la contrée.
Par son moyen, l’Evangile se faisait aimer ; les classes lettrées lisaient avait avidité les traités qu’il distribuait à l’issue de ses prédications, et même pendant l’insurrection des Taï-pings, il put continuer à parcourir seul, sans être molesté, les quartiers insurgés.
Pendant ce temps, les conversions se multipliaient, des centaines d’idoles furent détruites, et l’on vit pour la première fois dans cette partie du monde des boutiques restées closes le dimanche.
Après avoir dû suspendre ses travaux apostoliques pendant un an pour accompagner jusque dans son pays le docteur-missionnaire Young gravement malade, Burns trouva à son retour que les Eglises qu’il avait fondées étaient en pleine prospérité.
Une négociation importante dont il fut chargé le conduisit bientôt après à Pékin, où il resta quatre ans et d’où pendant la belle saison il rayonnait à une distance de quatre-vingt lieues.
Usé par des travaux excessifs, vieux avant l’âge, tout préoccupé de la composition de cantiques et autres publications religieuses, il ne laissait pas de prêcher encore dans les rues et de distribuer des Evangiles à ses auditeurs.
Le 4 avril 1868, à l’âge de cinquante-quatre ans, le vétéran fatigué rendit son âme à Dieu en pleine paix, après avoir exhorté jusqu’au dernier moment les Chinois qui l’entouraient.
" Ecoutez, écoutez vous aussi la voie de Dieu, leur disait-il, et donnons-nous rendez-vous au pied de son trône dans le ciel ! "