Le complot de mort de LAN-CHEN CHEO

L’auteur est un missionnaire qui, accompagné de sa femme, de ses deux enfants et d’une autre missionnaire, Miss Gates, fuyait devant la révolte des Boxers en Chine en 1900.

Nous approchons de la frontière.

La pensée que dans peu de temps nous aurions quitté la province du Shan-si faisait battre nos cœurs d’une joyeuse impatience ; pour autant que nous pouvions le savoir, le soulèvement n’avait pas encore atteint le Ho-nan, et chaque pas vers le sud fortifiait notre foi dans la délivrance.

Avec quel ardent désir nous attendions le moment de franchir la frontière d’une province dont le nom même était devenu synonyme de terreur !

Nous étions en route depuis deux heures environ, et le soleil était encore chaud, lorsque nous arrivâmes à Lan-Chen Cheo, une ville frontière dans la montagne.

Quelle ne fut pas notre consternation, quand, au lieu de continuer notre route sur Huai-K’ing Fu, les porteurs déposèrent la litière et nous en firent descendre.

Deux hommes sortirent alors d’une maison à proximité et examinèrent avec un air important les papiers que lui tendait le chef de l’escorte.

C’était un " li-kin yamen " ou barrière de douane.

" Ai-ai ! Qu’est ceci ? Ces papiers ne sont pas en règle ! Et nous les entendîmes dire qu’il manquait un certain cachet. "

La discussion qui suivit montra que nous devions nous attendre à être retardés dans notre voyage, perspective intolérable après la joie que nous avions ressentie tout le jour à la pensée d’être bientôt en sécurité.

Mais la situation était beaucoup plus grave que cela !

On nous fit entrer dans le bureau de douane et à ma grande consternation, je vis notre escorte, dont le devoir était de nous protéger jusqu’à Huai-K’ing Fu, sortir tranquillement avec les mulets et rebrousser chemin vers Tseh-cheo !

Jamais je n’oublierai le désespoir qui s’empara de nous à cette heure. Abandonnés ! – et toujours dans le Shan-si !

En pourrions-nous désormais sortir vivants ?

Comment le pourrions-nous, en effet, avec des papiers sans valeur et sans escorte ?

Non seulement cela, mais il paraissait évident, à voir les gestes des hommes de poste, que nous étions prisonniers.

Cinq hommes montaient la garde et observaient tous nos mouvements.

Entre temps, notre arrivée avait attiré la foule.

Pour calmer son excitation – mais non sans quelque motif sinistre – on nous fit sortir et pendant un long moment nous restâmes assis sur le pas de la porte.

Sous prétexte de coucher les enfants, ma femme reçut enfin la permission de se retirer cependant que Miss Gates et moi restions devant la foule.

La nuit étant venue, on nous fit entrer dans la maison, composée d’une seule pièce, en compagnie de plusieurs hommes, et la porte fut fermée.

L’agitation au dehors augmentait d’intensité.

On entendait des bruits de coups suivis de cris de femmes.

Puis des cris de " Shah iang kuei-tsï ! Shah, Shah ! " et des coups répétés contre la porte.

La situation devenait critique.

Les hommes autour de nous tinrent alors conseil pour décider ce qu’ils devaient faire de nous.

Rendus hardis par l’irrégularité de nos papiers et ayant insisté que " la pluie ne pouvait tomber avant que le sang étranger n’eût été versé ", ils nous condamnèrent à mort.

La situation était maintenant désespérée.

Le dernier vestige de protection officielle avait disparu ; il n’existait aucun moyen d’évasion, et la foule au dehors vociférait et réclamait notre sang.

Quant à ceux qui avaient officiellement le devoir de nous protéger, ne venaient-ils pas eux-mêmes de nous condamner ?

Je ne puis décrire notre affliction dans cette ville de Lan-Chen Cheo, à la frontière même du Shan-si qu’en prononçant les paroles de saint Paul :

" … Nous avons été excessivement accablés au-delà de nos forces, de telle sorte que nous désespérions même de conserver la vie. Et nous regardions comme certain notre arrêt de mort " (2 Corinthiens 1 : 8).

Aucune confiance en nous-mêmes, aucune confiance en notre prochain ne pouvait désormais nous sauver. Il ne nous restait plus que le cri : " Sauve-moi, ô Dieu ! Car les eaux menacent ma vie. Je suis tombé dans un gouffre et les eaux m’inondent " (Psaume 69 : 2).

Nous étions déjà comme morts et notre délivrance, si elle se produisait, ne pouvait venir que de Dieu. " Dieu ! Celui qui ressuscite même les morts ! " (Actes 26 : 3)

La chaleur était suffocante. La pièce où nous nous trouvions n’avait que six mètres de long et quatre mètres de large. Le plafond était très bas et le sol et les murs étaient sales.

Il n’y avait aucune entrée d’air frais si ce n’est par quelques trous pratiqués avec le doigt dans les petits carrés de papier huilé qui servaient de fenêtres.

Le feu qui avait servi à cuire des aliments pendant le jour n’était pas éteint et nous étions dix personnes !

L’atmosphère était au surplus alourdie par les fumées d’opium et de tabac et les fumeurs étaient couchés autour d’une lampe à opium, presque entièrement nus.

La vermine et les moustiques faisaient le reste.

Nous nous étions étendus non pour dormir mais afin de veiller et de prier.

À tout moment, nous pouvions être appelés pour être mis à mort et il nous fallait être préparés.

De temps à autre nos gardiens échangeaient quelques paroles et nous jetaient des regards pour s’assurer sans doute que nous étions toujours présents.

Les longues heures de la nuit furent ainsi passées en présence de Dieu. " Quand les pensées s’agitent en foule au-dedans de moi, tes consolations réjouissent mon âme " (Psaume 94 : 19).

A l’aube, la foule revint.

La décision du " conseil " qui nous avait condamnés à mort devait avoir la veille apaisé l’excitation de la populace, mais elle venait maintenant exiger que la sentence fût accomplie à la lettre.

Le soleil venait à peine de se lever, que l’air vibrait des cris de " Shah ! Shah ! Shah ! "

Nous savions que la fin était proche et que seule une intervention directe et immédiate de Dieu lui-même pouvait nous apporter la délivrance.

C’est à ce moment que je sentis peser sur mon cœur la puissance d’une promesse de Dieu :
" Invoque-moi au jour de la détresse, je te délivrerai et tu me glorifieras " (Psaume 50 : 15).

Ma foi fut fortifiée et je me sentis poussé à saisir cette promesse et à la plaider devant Dieu comme une promesse certaine, signée de son nom, et applicable à notre détresse présente.

Nous avions à invoquer l’Eternel !

Et sachant parfaitement que la cause de l’hostilité de la foule à notre égard et de sa colère était la sécheresse qui sévissait depuis si longtemps et dont ils nous rendaient responsables par notre présence dans leur pays, nous fûmes poussés à crier ensemble à Dieu pour lui demander d’intervenir en notre faveur en envoyant la pluie en quantité suffisante pour satisfaire les besoins de tous ces pauvres êtres souffrants.

Nous nous agenouillâmes alors et répandîmes nos cœurs devant Dieu, priant en chinois afin que nos geôliers pussent savoir non seulement ce que nous faisions mais aussi ce que nous demandions.

Insensés !

Croire à la pluie et à la pluie immédiate, alors que le ciel était d’airain et que tout laissait prévoir une journée aussi chaude et implacable que les précédentes !

Les gardiens n’avaient-ils pas eux-mêmes avec la foule, crié : " Shah ! A mort ! "

Ne nous avaient-ils pas avertis que notre dernière heure était venue ?

L’incrédulité méprisante avec laquelle ils nous écoutaient montrait assez les pensées de leurs cœurs.

Combien de temps continuâmes-nous à prier ainsi ?

Je ne saurais le dire.

Mais je sais que tout à coup les écluses des cieux furent ouvertes, et qu’une pluie torrentielle se mit à tomber sur la foule trépignante.

En un clin d’œil la rue devint déserte et l’on n’entendait plus que le bruit des eaux !

Oh ! Je puis vous le dire, amis lecteurs, ces mots : " Dieu est un secours qui ne manque jamais dans la détresse " (Psaume 46 : 2), devinrent pour nous une réalité vivante.

En manifestant ainsi son amour, Dieu se manifestait lui-même. Sa présence ne nous aurait pas été plus réelle si nous l’avions vu de nos yeux dans notre prison.

Le bruit de l’eau qui tombait était comme l’écho de la voix même de Dieu, une mélodie composée par Dieu lui-même pour le " cantique nouveau " qu’il avait mis sur nos lèvres.

Dans cette prison infâme, le cantique de l’Agneau : " Tes œuvres sont grandes et admirables, Seigneur Dieu tout-puissant ! Tes voies sont justes et véritables, rois des nations ! " (Apocalypse 15 : 3)

La prière du pauvre en détresse s’est transformée en louange et la prison de nos soupirs est devenue le temple du cantique de " Celui qui inspire des chants d’allégresse pendant la nuit " (Job 35 : 10).

On imagine l’effet de tout ceci sur nos geôliers.

Leurs durs regards d’incrédulité firent place à une sorte de crainte et quoiqu’ils affichassent une certaine indifférence bourrue à notre égard, ils montrèrent beaucoup moins de cruelle sévérité que la veille.

Nous avions eu alors la plus grande difficulté à obtenir d’eux quelque nourriture mais aujourd’hui nous pouvions mieux nous restaurer.

La porte aussi avait été laissée grande ouverte et l’on nous permit de demeurer sur le seuil et de jouir de la fraîcheur de l’air de dehors.

Un petit incident suffira à montrer non seulement qu’ils avaient été impressionnés mais aussi qu’ils avaient établi une relation de cause à effet entre notre prière et la venue de la pluie.

Nous étions assis avec les enfants devant la maison, regardant couler le torrent d’eau dans la rue – une vraie rivière à l’endroit où peu de temps auparavant on ne voyait que la surface du chemin recouverte de quelques centimètres de fine poussière.

Et nous chantions, donnant gloire à Dieu, un cantique connu de beaucoup d’enfants chinois :

Tsan-mei, tsan-mei Chu Je-su,

T’si chï ren shae ming tih,

Tsong sï li fuh huo tih,

Tsan-mei Je-su ngen Chu

Louez, louez le Seigneur Jésus,

Qui pour le monde donna sa vie,

Et ressuscita des morts.

Louange à Jésus, le Seigneur de grâce.

Une grande partie de la nuit l’eau continua à tomber. Béni soit Dieu !

Ce miracle de Dieu eut deux résultats immédiats.

Le premier fut que toutes les bouches ouvertes contre nous furent fermées.

Le prétexte donné à la sentence de mort avait disparu et la notion superstitieuse que notre présence était la cause de la sécheresse en quelque lieu que nous nous trouvions n’avait plus de fondement.

Malgré cela nos gardiens prirent bien soin de nous avertir que nous ne pouvions espérer avoir la vie sauve que s’il tombait assez d’eau pour pénétrer très profondément le sol assoiffé.

Lorsque de temps en temps nous demandions : " N’est pas assez maintenant ? "

Ils se moquaient de nous.

Mais peu à peu ils en arrivaient à éviter de répondre, tant il était évident que la quantité d’eau devenait suffisante.

Et nous comprîmes alors que la sentence rendue la veille était en réalité irrévocable ; nous devions être mis à mort alors même que le prétexte avait été ôté.

Le second résultat fut de nous procurer une journée de retraite et de calme relatif.

Les mots ne peuvent exprimer la joie d’être délivrés pour un peu de temps de la présence de ces hommes et de la foule.

L’ombre de la mort planait toujours mais la substance de cette ombre, si je puis ainsi dire, c’est-à-dire la présence d’une populace vociférant assoiffée de sang et de vengeance, nous était épargnée.

Mais le calme de cette matinée fut enfin rompu par l’arrivée d’un courrier du yamen de Tshe-cheo.

Après avoir salué à la manière indigène, nous lui demandâmes l’objet de sa visite.

Je n’ai pas besoin de vous dire que notre politesse impertinente fut traitée avec le plus profond mépris.

Il était aisé cependant de comprendre le sens de la communication que fit le nouvel arrivant à nos geôliers.

La conversation prit fin rapidement et le courrier s’en fut.

A la tombée de la nuit deux hommes apparurent dont l’aspect, malgré leurs effets mouillés et couverts de boue, montrait qu’ils étaient des fonctionnaires.

Il fut évident qu’on les attendait.

Ils entrèrent aussitôt en conversation avec le chef des gardiens et pendant ce temps deux soldats arrivés en même temps s’installèrent devant la maison avec un faisceau de trois fusils.

S’il nous était resté quelque espoir par suite de l’arrivée de la pluie, cet espoir devait maintenant s’évanouir ; les trois fonctionnaires discutaient en effet librement de la manière dont nous allions être mis à mort.

" Il ne nous est plus possible " disaient-ils " de nous servir du prétexte de la sécheresse. Mais qu’importe ?

Il nous suffit de savoir que ce sont d’ignorants étrangers qui ne connaissent pas les Chinois et qui sont la plaie de la Chine.

Pourquoi donc leur permettrions-nous de vivre ?

Mais regardez leurs papiers !

Les instructions que nous avons reçues de Kao-P’ing sont qu’ils doivent être ôtés de la province du Shan-si et ne plus y revenir !

Ces mots " ne plus y revenir " ne signifient-ils pas qu’ils doivent être mis à mort ?

Ai-ai !

Nous allons prendre grand soin de les ôter du Shan-si et éviter qu’ils n’y reviennent jamais !

Voyez, nous avons avec nous des fusils et demain matin nous les fusillerons derrière cette maison. "

A ces paroles il devint évident que nous ne pouvions rien gagner à garder le silence.

Je dis donc à Miss Gates qui avait interprété la conversation : " Si ces hommes pensent qu’ils peuvent nous mettre à mort à la suite d’accusations sans fondement, il est grand temps que nous les détrompions.

S’ils pensent que nous sommes des étrangers ignorants de tout ce qui concerne la Chine, il faut leur dire que nous comprenons beaucoup plus qu’ils n’imaginent. "

Avec un grand courage, Miss Gates s’adressa au fonctionnaire et lui dit avec courtoisie :

" Votre Excellence parle de nous mettre à mort et cela sans accusation sûre. Vous devez savoir que ceci est contraire aux lois et coutumes de votre honorable pays.

Vous devez aussi savoir que vu notre qualité d’étrangers venus de la Grande Angleterre, vous avez le devoir de nous protéger.

Si nous avons commis quelque infraction à la loi de votre pays, votre devoir est de nous mener devant les autorités compétentes afin que nous soyons jugés ; et s’il peut être démontré que nous avons commis des crimes qui méritent la mort, nous ne refusons pas de mourir.

Mais notre culpabilité doit d’abord être clairement établie par un tribunal régulier sans quoi des sanctions terribles seront imposées aussi bien à vous-même qu’à votre pays. "

L’effet de ces paroles fut extraordinaire.

Venant des lèvres des " étrangers ignorants " et en des termes qui retournaient les arguments de ces hommes contre eux-mêmes, elles transformèrent l’attitude pleine de mépris et d’indifférence en une attitude de politesse obséquieuse.

Le " li " (ou l’équité de l’affaire) était si clairement en notre faveur que pour " sauver la face ", chose si importante en Chine, ils étaient contraints de nier qu’ils n’aient jamais eu des intentions hostiles à notre égard.

S’inclinant devant Miss Gates, afin de cacher leur confusion, ils ajoutèrent : " Nous vous assurons que vous n’avez absolument rien à craindre de notre part. "

Après quoi, ils s’en furent, disparaissant dans l’obscurité et sous la pluie battante.

Nous étions heureux d’être débarrassés de la présence de ces hommes, mais nous savions bien que leurs déclarations étaient purement " hsti-kia " - " vides et fausses ", tout comme leurs cœurs.

Nous ne devions pas un instant supposer qu’ils allaient abandonner leur intention première après en avoir fait si ouvertement l’aveu, alors surtout qu’ils avaient été jusqu’à apporter les armes avec lesquelles ils devaient nous tuer.

Nous nous attendions donc à la mort pour le lendemain au plus tard.

Nous nous retirâmes dans le secret de k’ang pour faire face à cette éventualité, mais dans la présence de Dieu.

Avec le même calme que si elle avait été à la maison, ma chère femme prépara les enfants pour le repos de la nuit.

Puis les ayant installés tant bien que mal, nous chantâmes avec eux le cantique du soir après la prière :

Soleil de mon âme,

Sauveur si cher,

La nuit n’est plus quand tu es près.

Puisse aucun nuage venant de la terre

Te cacher aux yeux de ton serviteur.

Sois près de nous pour nous bénir au réveil

Avant que nous ne cheminions sur la terre

Jusqu’à ce que l’océan de ton amour

Nous enveloppe en haut dans le ciel.

Nous étions émus en entendant leur voix chanter : Sois près de nous pour nous bénir au réveil, car nous savions ce que ce réveil pouvait être.

Mais il est une chose qu’ils savaient aussi bien que nous, c’est que dans la mort ou dans la vie, le Seigneur serait tout près, comme nous le Lui avions demandé dans la prière, pour nous bénir. Et avec ce sentiment de confiance et de foi, ils s’endormirent malgré la douleur que leur causaient leurs plaies.

La nuit vint et la porte fut fermée comme la nuit précédente.

L’atmosphère chargée d’humidité était lourde et devint bientôt presque irrespirable.

On peut imaginer les conditions dans lesquelles nous devions passer la nuit ; mais cela n’était rien à côté de l’indécence éhontée des hommes étendus autour de nous.

Au milieu de tout cet inconfort, nous continuâmes à veiller et à prier. " Offre-moi le sacrifice d’actions de grâce… et invoque-moi. "

Nous souvenant de la bonté merveilleuse de Dieu pendant toute cette journée extraordinaire, nos cœurs débordaient de reconnaissance envers lui, le Dieu de notre salut, et nous glorifions l’Agneau, le Vainqueur, au milieu du Trône.

Combien doux furent les instants, riches en bénédiction, que nous vécûmes cette nuit-là devant la Croix, à la veille de notre exécution.

Dieu nous avait même donné un sentiment de triomphe en Lui, " qui peut faire infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons ", à tel point que notre foi tremblante fut fortifiée et nous nous sentîmes poussés une fois de plus à nous " saisir " du Seigneur qui peut
" ressusciter même les morts " et " délivrer de la gueule du lion ".

C’est ainsi que nous décidâmes de prier à nouveau devant nos geôliers, dans leur langue, demandant l’intervention directe de Dieu pour notre délivrance.

Nous étions à genoux et priions Dieu que pour la gloire de Son nom, il ne permit pas aux officiers de Tseh-Cheo, ou à nos gardiens, de toucher un seul cheveu de notre tête, et qu’il leur ôtât tout pouvoir à notre égard.

Nous priâmes aussi que ces hommes, nos ennemis, persécuteurs et diffamateurs, eussent le cœur changé, qu’ils fussent pardonnés au nom de Jésus.

Pendant longtemps nous priâmes ainsi sans qu’aucun des hommes ne prononçât mot.

La faible lumière de la lampe à opium ne nous permettait pas de voir l’expression de leurs visages.

A la longue cependant, ils rompirent le silence : " Ils ont prié leur Dieu de les délivrer. Ai-la ! Les délivrer ! Il est trop tard maintenant. A quoi sert de prier quand tout est définitivement fixé ? "

L’atmosphère de la pièce devenait suffocante.

Les forces de ma femme diminuaient car, outre l’effet des privations et de la fatigue, elle souffrait de dysenterie.

Pouvait-il en être autrement en l’absence de toute protection contre la pluie quand il fallait quitter la maison et de tout moyen de sécher des vêtements trempés ?

Il devait être peu après minuit lorsqu’on frappa à la porte et une voix commanda d’ouvrir.

C’était l’officier de Tseh-Cheo-Lao. " Levez-vous, levez-vous ! " dit-il à nos gardiens.

" Ces diables d’étrangers sont en votre pouvoir, et il vous faut les mettre à mort. Faites-le de la manière que vous voudrez ; mais il faut le faire maintenant. Tuez-les tout de suite et n’ayez aucune crainte. Endormez-les d’abord si vous voulez avec de l’opium. "

Puis l’homme disparut.

Le sens de ses paroles me fut communiqué par Miss Gates à voix basse : " C’est la fin, le Lao-ie leur a donné ordre de nous tuer maintenant. "

Sans donner à nos gardiens la moindre idée que nous avions compris ce qui avait été dit, nous élevâmes nos cœurs à Dieu et décidâmes de veiller.

Entre temps, la porte avait été refermée et les hommes se consultaient.

Puis ils s’étendirent à nouveau sur le sol et parurent s’endormir.

Les heures passèrent. Miss Gates, hors de vue dans un coin sombre, surveillait les hommes tandis que, me tenant à genoux, je maniais un éventail improvisé au-dessus de ma femme et des enfants.

Au bout d’un certain temps, un des hommes se leva et commença à préparer une mixture ; puis y ayant mis le feu, il s’allongea de nouveau…

Pourquoi mon bras remuait-il si faiblement et d’où venait donc ce sentiment d’extrême faiblesse ?

J’essayai de me lever, de lutter, mais le malaise était plus fort que moi.

Le mouvement de mon bras se ralentit encore, je ne pus retenir l’éventail qui tomba à terre.

Quelques instants encore, et je perdis conscience.

La drogue accomplissait son œuvre à l’entière satisfaction des gardiens.

Quel silence !

L’un d’eux prit la lampe pour examiner ses victimes avant de donner le coup de grâce.

Quelle ne fut pas sa stupéfaction de trouver que Miss Gates était éveillée et que sur l’un des
 " kuei-tsi " au moins, la drogue n’avait eu aucun effet !

Miss Gates fit un mouvement pour montrer qu’elle était en effet éveillée et qu’elle se rendait compte de ce qui se passait.

" Ai-la ! Vous ne dormez pas encore ? Les punaises vous dérangent un peu trop ce soir dans doute ! " 

Et l’homme se retira, reprenant sa pipe.

Dans la puissance de Dieu et la patience de Christ, notre chère sœur avait continué seule à veiller, priant sans cesse.

C’est à cela sans aucun doute, que nous devions de n’avoir pas été mis à mort.

Il faisait encore nuit lorsque je fus arraché de ma lourde torpeur par des cris et des gémissements.

Je trouvai ma bien-aimée Flora dans les bras de Miss Gates, presque asphyxiée.

Elle haletait, gémissait et réclamait de l’air.

Je me tournai vers les hommes et les suppliai :

" Ma femme se meurt ! Ne le voyez-vous pas ? Ouvrez la porte, je vous en supplie, et donnez-lui de l’air, ouvrez la porte, ne serait-ce que pour un instant. "

Hélas !

Combien est dur le cœur de l’homme !

Ma requête fut refusée avec un juron.

Que pouvais-je en réalité attendre de plus, puisque c’était bien notre mort qu’ils désiraient ?

Priant à Dieu de les pardonner, je saisis nos deux éventails de fortune, et les agitais, un dans chaque main, de toutes mes forces.

Fait remarquable, pendant mon sommeil, non seulement j’avais rejeté tout l’effet des fumées du soporifique, mais j’avais même trouvé de nouvelles forces et suffisamment de vigueur, par la grâce de Dieu, pour accomplir ma besogne.

Mais quelle souffrance que de voir l’état dans lequel se trouvait ma femme !

Mais voici qu’à mon esprit se présentèrent à nouveau les paroles qui lui avaient été données au commencement de notre fuite : " Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je raconterai les œuvres de l’Eternel. "

Je m’emparai de cette promesse et la plaidai devant Dieu, tout en manipulant vigoureusement les éventails, aidé de Miss Gates.

Et lorsque vint le matin, nous eûmes la joie de voir ma compagne respirer plus facilement, quoique très faible, et capable de se réjouir en esprit, donnant gloire à Dieu.

La nuit avait pris fin, et le meurtre n’avait pas encore été commis.

Il restait cependant assez de temps pour permettre à ces hommes d’accomplir leur vile besogne avant que le monde ne s’éveillât, s’ils le voulaient, et il ne nous était pas permis de cesser notre veillée de prière.

De toute façon, l’aube naissante nous rappelait que l’heure de l’exécution approchait, que nous allions être fusillés.

Toutefois, nous savions que nous devions toujours tenir bon, afin que Christ pût être glorifié dans notre corps, quel que fût le moyen employé par nos bourreaux.

Pendant deux heures, les hommes restèrent immobiles.

Le soleil s’était levé, et le bruit des sabots des mulets montrait que la circulation sur la route avait commencé.

Et nous étions encore vivants !

Les gardiens finirent par se lever.

Ils remirent leurs vêtements et nous les entendîmes parler des événements de la nuit et discuter sur la réponse qu’ils auraient à donner à l’officier de Lao-Cheo.

" Ces gens, disaient-ils, ont prié à Shang-ti-Jeho-hua (Jéhovah –Dieu) ; et nous n’avons rien pu faire contre leurs prières. "

Tel était le témoignage des païens autour de nous – de ces hommes qui quelques heures plus tôt s’étaient moqués de nos prières qu’ils considéraient futiles, de ces hommes moqueurs à l’idée d’un Dieu qui pût nous délivrer d’entre leurs mains.

Bientôt la porte fut ouverte toute grande.

 Il nous sembla que l’entrée de l’air frais était comme une visitation nouvelle de la présence personnelle de notre Dieu.

La lumière et l’air pénétrant irrésistiblement la pièce, dissipant les ténèbres et les terreurs de l’obscurité, parlaient à notre cœur d’une Puissance qui agissait pour nous, contre laquelle aucune arme ne pouvait agir.

Et j’entendis dans mon cœur ces paroles : " Six fois il te délivrera de l’angoisse, et sept fois le mal ne t’atteindra pas " (Job 5 : 19).

A cette Voix vivifiante l’espoir renaissait, une grande consolation provenant de la foi vivante en la Parole du Dieu vivant, qui agit avec efficacité en ceux qui croient, une profonde conviction que tout ce qui avait été promis dans cette parole et qui m’avait rendu l’espoir, Dieu était capable de l’accomplir.

Deux fois déjà depuis notre arrestation, Dieu nous avait délivrés ; ne pouvions-nous pas tenir ces délivrances comme une sorte de garantie du dessein de Dieu de nous permettre, malgré tout, de passer la frontière ?

Mais comment cela pouvait-il se faire ?

Ces gens attendaient notre mise à mort et, même à part cela, nous n’avions aucun" uen-shi " ou passeport, aucun moyen de transport, aucune escorte.

" Ne promène pas des regards inquiets, car je suis ton Dieu " (Esaïe 49 : 10).

Je compris alors que si la situation était, selon toute apparence, sans issue, c’était simplement afin que Dieu pût nous mettre à l’épreuve de la foi ; car Il savait certainement, Lui, ce qu’Il allait faire.

Nous lui étions reconnaissants de ce qu’on ne nous empêchait pas de nous asseoir sur le seuil, et ma femme surtout reprenait des forces en respirant l’air vif et frais du matin.

La pluie avait cessé de tomber avant l’aube et on pouvait s’attendre à souffrir à nouveau de la chaleur.

Mais pour l’instant, on nous laissait tranquilles, toute la population dans sa joie et sa satisfaction de voir l’effet des " torrents dans le désert ", nous ayant apparemment oubliés et étant partie travailler aux champs.

Mais qu’en était-il des deux fonctionnaires venus de Tseh-Cheo Fu ?

Je n’en avais pas la moindre idée. Etaient-ils partis cette nuit-là après avoir donné à nos gardiens l’ordre de nous mettre à mort ?

Nous ne pouvions le savoir.

Toujours est-il que nous ne les revîmes jamais.

Je ne pouvais que remercier Dieu de ce qu’Il s’était servi de l’avertissement donné par Miss Gates aux deux fonctionnaires qui avaient aussi sans nul doute été impressionnés à l’idée des conséquences qui eussent découlé de cet acte.

Quoi qu’il en soit, il ne leur fut point permis – ce que nous avions demandé à Dieu – de toucher un seul cheveu de nos têtes.

Bien entendu, à ce moment-là, nous pouvions supposer que les deux hommes étaient toujours sur place et qu’en fait la sentence pouvait être exécutée d’un moment à l’autre.

Il ne nous fallait pas trahir le fait que nous connaissions les desseins exprimés pendant la nuit, mais, d’autre part, il nous semblait utile d’agir avec assurance en réclamant fermement que l’on voulût bien nous permettre de continuer notre voyage.

C’est ce que nous fîmes, et, pour leur donner la possibilité de " sauver la face ", nous insistâmes sur le fait que le seul obstacle à notre départ, à savoir la pluie torrentielle, ayant disparu, nous devions partir.

Pendant longtemps, ces hommes discutèrent, et il paraissait clair que dans la perplexité que leur causait l’absence des fonctionnaires, ils ne pouvaient se mettre d’accord.

Les uns voulaient nous mettre à mort de suite, d’autres préféraient nous laisser partir pour confier à d’autres fonctionnaires, à un autre préfet, la responsabilité de notre exécution.

Et voici que tout à coup le problème fut résolu d’une façon inattendue par l’apparition du muletier qui nous accompagnait l’avant-veille et dont nous supposions qu’il avait dû partir avec l’escorte qui nous avait trahis !

Pendant les premiers jours de notre voyage, il nous avait souvent montré quelques brutalités, mais il semblait la manifester maintenant envers nos gardiens.

Se tenant devant eux, avec son air de défi que nous connaissions si bien, il déclara :

" Je n’ai que faire de toutes vos paroles.

J’ai reçu ordre de porter les diables étrangers à Huai-k’ing Fu, et je les porterai jusqu’à Huai-k’ing Fu.

- Quoi ? Les mettre à mort ici ? Insensés que vous êtes !

Ne savez-vous donc pas que même s’ils atteignent le Fleuve Jaune, ils ne pourront aller plus loin ; car tous les gués sont aux mains des Ta Tao Huei. Il y en a même non loin d’ici ; ils ne feront qu’une bouchée des kuei-tsi et vous éviteront bien du labeur. "

Sur ces paroles, il traversa la route et tira d’un hangar les bois de notre litière.

Oh ! La joie de voir cette litière et l’homme en train de l’assembler là, dans la rue, devant nos yeux !

Le Seigneur véritablement " ramenait notre captivité " et je ne puis l’exprimer que par ces mots : " Nous étions comme dans un songe. "

A partir de ce moment les préparatifs de notre départ allèrent d’aussi bon train que le permettait la hâte lente des " fils du ciel ".

Trois hommes furent choisis comme escorte.

On parapha nos papiers pour les donner au chef de la bande, un fonctionnaire dont la seule présence suffirait, pensions-nous, à nous assurer le passage de la frontière sans difficulté, malgré l’absence de uen-shu ou signature qui nous avait causé tant de tourments depuis deux jours.

On réquisitionna deux mulets et un âne qui passaient alors dans un convoi de charbons, sous prétexte d’" utilisation officielle " !

Et en regardant ces hommes hisser la litière et son précieux chargement humain sur le dos des animaux, je me demandais presque si " j’étais dans mon corps ou hors de mon corps " tout comme l’apôtre Paul.

Aucune foule ne nous suivit, les gens étaient occupés aux champs.

Aucune injure ne parvint à nos oreilles.

Au lieu d’être menés avec tumulte vers un lieu d’exécution, nous cheminions tranquillement vers notre destination, aidés dans notre départ par ceux-là mêmes qui avaient cherché si peu de temps auparavant à nous ôter la vie !

Lan-Chen Cheo derrière nous !

Quel miracle Dieu n’avait-il pas accompli !

Trois fois arrachés miraculeusement à la mort : des mains de la populace, des mains des geôliers, des mains des fonctionnaires de Tseh-Cheo.

Quelles réponses merveilleuses à la prière !

Le Seigneur avait fait disparaître des montagnes de difficultés pour rendre possible notre salut.

Le souvenir de Lan-Chen Cheo sera toujours pour moi un souvenir d’agonie. " Abba Père ! S’il est possible… ", me semblait être la seule expression possible de mon cœur.

Mais le souvenir de la Présence de Dieu ne pourra jamais être autre chose pour moi qu’un souvenir de joie inexprimable et de plénitude de gloire.

Gloire soit à Ton Nom, ô Seigneur tout-puissant !

41 - En sentinelle

Préambule En 1910, André Peyrollaz, soucieux de voir l’Evangile pénétrer le...

42 - Sérénité

La vieillesse qu’on se prépare Quelques personnes vieillissent vite d’espri...

43 - Ne remettez pas à demain ce que vous...

Un cadavre dans le port Un jeune homme raconte sa douloureuse expérience :...

44 - A nos petits enfants et à tous les en...

Donner Jeannette est revenue ce matin de l’école avec des yeux encore plus...

45 - Expérience derrière les barbelés

17 ans, c’est l’âge auquel un jeune homme, Placé devant un choix par les ho...

46 - Poésies

Le retour du Maître " Ou le soir, ou au milieu de la nuit, ou au chant du c...

47 - Conséquences néfastes du jeu de carte...

En juillet 1969, la question suivante fut posée dans le journal " l’Appel d...

48 - Miracle en Chine

Le complot de mort de LAN-CHEN CHEO L’auteur est un missionnaire qui, accom...

49 - L'orgueil et la timidité

Etude sur l’orgueil et la timidite Frères et sœurs, Pourquoi un livret sur...

50 - A nos petites filles et à toutes les...

La petite chanteuse - Non, non, c’est inutile ; ce que je ne comprends pas,...

51 - Bienfaits des cantiques

" Je pense à mes cantiques Pendant la nuit Et mon esprit médite " Psaume 77...

52 - Poésies - Cantiques 2

" Chantez à l’Eternel vous qui l’aimez Célébrez par vos louanges sa Saintet...

53 - Histoire d'un cantique

" Qui se confie au Tout-Puissant peut s’endormir paisiblement " C’est ordin...

54 - Jésus et le travail quotidien

" Jésus leur dit : Jetez le filet du côté droit de la barque et vous en tro...

55 - Etude sur la foi et les œuvres

Dieu me voit Dieu le saura Etude sur la foi et les oeuvres De Jean FONTAINE...

56 - Un évangéliste

Les pages qui suivent relatent les témoignages de quelques évènements qui s...

57 - Trois fondateurs de religions

Jésus-Christ, çakya-mouni (ou bouddha) et Mahomet Notre intention n’est pas...

58 - Marcel LAHAYE - Evangéliste

Marcel LAHAYE - Evangéliste (1913 - 1966) Préface Il ne m’est pas facile d’...

59 - Alexandre MOREL

Alexandre Morel entre dans la lignée des innombrables témoins du Christ, in...

60 - Etudes sur la cène

Etude D’alexandre MOREL " La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-...