Introduction
Ce petit livret est destiné, pour ceux qui le liront, à faire plus ample connaissance avec un personnage que certains ont salué comme une lumière de la Réformation, auquel d’autres, ses nombreux ennemis, ont voué une haine féroce.
Beaucoup ne connaissent de lui guère plus que son nom et parmi ceux qui se déclarent " évangéliques " combien ignorent que Calvin a joué, en son temps, un rôle prépondérant dans le retour aux sources de la chrétienté, qui avait été égarée par des siècles de traditions humaines.
Bien qu’il ait exercé la plus grande partie de son ministère de réformateur à Genève, Calvin est bien français d’origine et le monde protestant fête cette année les cinq centièmes anniversaires de sa naissance.
Nous ne pouvions pas laisser passer cette occasion de nous pencher d’un peu plus près sur la vie d’un serviteur d’exception qui, malgré ses faiblesses et ses erreurs, a marqué le monde chrétien d’une empreinte forte et durable.
Ce que nous pouvons et ce que nous sommes, par la grâce de Dieu, est en partie dû à l’héritage que nous ont transmis de tels croyants, qui ont eu le courage de se dresser contre les doctrines mensongères et qui n’ont pas aimé leur vie jusqu’à craindre la mort.
En France, naissance, études et conversion
Jean Calvin est né le 10 juillet 1509 à Noyon en Picardie.
Rien ne laisse prévoir, à cette date, le grand mouvement qui va réformer la chrétienté.
Luther a 25 ans. Il est encore moine du couvent d’Erfurt et son nom qui bientôt sera dans toutes les bouches est encore ignoré.
Le père de Calvin avait une honnête aisance. Il était conseiller du clergé et de la noblesse.
Sa grande ambition fut de faire instruire ses enfants.
Jean Calvin était destiné à la prêtrise, tout comme le fut son frère aîné.
C’est dans le collège de Noyon qu’il commença à étudier.
Puis, sous la protection d’une noble famille, il poursuivra ses études en compagnie de jeunes seigneurs.
Calvin ne fut en réalité jamais prêtre et il abandonnera cette perspective et les avantages qui y étaient attachés lorsqu’il sera parvenu à la pleine maturité de ses convictions évangéliques.
En 1523, la peste sévit à Noyon.
Calvin a 14 ans et quitte la ville pour poursuivre ses études à Paris.
Dans un milieu débauché et corrompu, le jeune adolescent étudie avec passion, instruit par un maître, excellent pédagogue et de grande piété, déjà presque évangélique.
De l’un des collèges qu’il fréquente, il vécut une éducation ascétique dans une atmosphère monacale.
Soumise a un régime rigoureux, la santé de Calvin commença à être ruinée mais il acquit une discipline qui devait faire de lui le plus infatigable des travailleurs.
Sorti du collège à 19 ans, nanti de ses diplômes, il est dit de lui : " Qu’il était religieux d’une manière admirable et censeur sévère de tous les vices de ses compagnons. "
Ce qui ne l’empêchait pas d’être le centre d’un petit cercle d’amis qui lui restèrent attachés la vie durant et le rejoignirent plus tard à Genève.
C’est au cours de ses études à Paris que Calvin a probablement commencé à être initié au protestantisme, car avant même la publication des thèses de Luther en France, Lefèvre d’Etaples avait publié un commentaire sur les Epîtres de Saint Paul, livre qu’on peut considérer comme le premier livre protestant dans lequel sont affirmés les deux principes fondamentaux de la réforme : L’autorité souveraine des Ecritures et la justification par la foi.
C’est ce qui a fait dire à certains qu’il y a un protestantisme français dont l’origine ne doit rien, ou peu de chose, à la Réforme allemande ou anglaise, mais qui les a précédées l’une et l’autre.
Plus tard, Olivetan, originaire lui aussi de Noyon et cousin de Calvin, initia ce dernier à la foi évangélique.
Cet Olivetan fut l’auteur d’une traduction de la Bible en français, laquelle, retouchée au 18ème siècle, est devenue la version d’Osserval dont on s’est servi dans les églises pendant longtemps avant que la version Second ne paraisse.
Le protestantisme de Lefèvre fut modéré, conciliant, timide, candide.
Ce dernier croyait en effet à la possibilité d’une réforme au sein de l’Eglise catholique.
En écrivant un livre, Lefèvre avait formé un ardent et fougueux disciple qui devait aller plus loin que son maître et devenir un véritable réformateur : Guillaume Farel, moins connu que Calvin mais qui joua un rôle très important.
En 1523, date à laquelle Calvin arriva à Paris, Farel vient de Meaux – berceau du protestantisme de France – d’où il a été chassé, et y fonde une Eglise secrète.
C’est aussi le moment où les écrits de Luther commencent à pénétrer en France et provoquent grande agitation dans les esprits.
Le jeune Calvin est amené à discuter des grandes questions du jour.
Influencé par Olivetan, Calvin décide d’abandonner ses études théologiques et de renoncer à la prêtrise et se rend à Orléans (1528) pour se consacrer à l’étude du droit.
Ceux qui l’ont approché de près à Orléans, disent que bien souvent, il étudiait jusqu’à minuit et pour ce faire, mangeait peu au souper.
Puis le matin, se tenant encore quelque temps au lit, il se remémorait et ruminait ce qu’il avait étudié le soir.
Nul doute que tout cela ait affecté sa santé.
Calvin possédait une prodigieuse mémoire et toute sa vie, qu’il prêche ou qu’il enseigne, il le fit sans aucune note.
A un tel étudiant aussi remarquable, on proposa de lui accorder le doctorat sans examen et gratuitement mais par scrupule il refusa.
Après bien des péripéties, à 23 ans, Calvin se retrouve à Paris.
C’est là qu’il se convertit réellement.
Cette conversion comme il le dira, fut un acte de Dieu, une victoire de Dieu sur ses hésitations, ses timidités, ses craintes.
Non pas un acte de l’homme, acte de bonne volonté ou de libre choix.
C’est Dieu qui a pris l’initiative, tout comme pour le prophète Jérémie qu’il avait persuadé, qu’il avait saisi et vaincu.
Si, plus tard, Calvin placera au centre de sa doctrine, la souveraineté absolue de Dieu, c’est qu’il a le sentiment non pas de s’être donné à Dieu mais d’avoir été saisi comme malgré lui.
Toute sa théologie procède de cette défaite initiale.
Au terme de ce cheminement, il obéit à l’appel de Dieu, aux sollicitations de la vérité, et prend parti pour l’Evangile, se laissant guider par Dieu comme Abraham en ignorant où cela le mènera.
Plus tard à Bourges où il s’installe, il se penche sur le Nouveau Testament, il approfondit sa connaissance des Ecritures, il s’initie de plus près à la pensée de Luther.
Il exhorte, il prêche la vérité neuve dont les premiers rayons illuminent son âme, mais il a encore besoin d’être davantage éclairé.
Après bien des tâtonnements, après la crise d’âme qui l’a orienté vers l’Evangile, Calvin est enfin conquis tout entier par la vérité.
A 24 ans, il est un des chefs du parti évangélique. Il est dans son âme : Le réformateur.
Publication de " l’Institution chrétienne " à Bâle
Après Paris, on retrouve Calvin à Angoulême et dans d’autres lieux où il donne en cachette de véritables conférences théologiques.
On raconte qu’il avait l’habitude de dire : " Trouvons la vérité ! " et non pas seulement :
" Cherchons la vérité ! "
En juin 1534, on trouve Calvin à Noyon où il abandonne ses privilèges ecclésiastiques.
De retour à Paris, il aurait voulu rencontrer Michel Servet qu’il condamnera plus tard à Genève – pour le gagner à notre Seigneur comme il l’écrira lui-même.
Mais Michel Servet ne vint pas au rendez-vous.
C’est à cette époque que Calvin en arrive à célébrer la Sainte Cène dans toute la simplicité du rite apostolique, mais " l’hérésie " est connue et signalée à la justice.
Calvin doit quitter Poitiers, où il se trouvait alors, pour Orléans mais à cause de la persécution qui sévit, il se décide à quitter la France pour Bâle où il arrive fin 1534, début 1535.
Peu après l’arrivée à Bâle de Calvin, avait lieu ce qu’on a appelé " l’affaire des placards " (ou affiches) et qui probablement l’avait incité à sortir de France.
Voici en peu de mots ce que fut l’incident des " placards " qui nuit considérablement à la réforme française.
Certains fidèles bien intentionnés eurent l’idée d’afficher un peu partout et jusque dans la chambre du roi François 1er, des articles rédigés par un pasteur de Neuchâtel qui dénonçait entre autres les " abus de la messe papale. "
La persécution se déchaîna aussitôt et la tête des luthériens fut mise à prix.
Les hérétiques sont brûlés vifs.
La suppression totale des évangéliques est alors envisagée et prescrite.
C’est à ce moment-là que Jean Calvin prenant la défense de ses frères, écrivit son apologie de la Réforme : " L’Institution chrétienne ", dans laquelle il exposait les principes et la foi des réformés, dans le but de " laver l’honneur des martyrs " qu’on avait calomniés et ensuite de composer son livre qui contient la doctrine de la Réforme.
La première édition de cet ouvrage à Bâle s’enleva rapidement, à l’étonnement de Calvin lui-même.
Il faut noter que cette ville de Bâle était gagnée à la Réforme lorsque Calvin y arriva.
Premier ministère à Genève
Grâce à ce livre " l’Institution ", qu’on a pu appeler " le plus grand livre du XVI ème siècle ", Calvin devient célèbre.
Il n’a alors que 26 ans.
Après divers séjours en Italie et ailleurs, il dut faire un détour et passer par Genève, ayant l’intention de gagner Bâle et Strasbourg.
En juillet 1536, Farel, averti du passage du jeune théologien, le presse de rester avec lui pour l’aider à Genève où l’état de l’Eglise exige sa présence.
Après maintes réticences et devant l’insistance de Farel, Calvin accepte, mais la situation de l’Eglise était telle qu’il fallait l’édifier pour en faire un modèle pour toutes les autres.
C’est ainsi qu’il allait donner à Genève sa physionomie pour des siècles.
Modestement tout d’abord, Calvin va déployer avec une indomptable énergie et malgré la maladie qui semble s’attacher à lui, son activité dans trois directions.
Tout d’abord, l’instruction de la jeunesse et pour ce faire fut publié, en 1537, le premier catéchisme français de l’Eglise de Genève.
Ensuite, il s’attaqua à la réforme des mœurs car il régnait à Genève une grande anarchie morale.
Calvin veut avant tout sauvegarder le respect pieux de la Sainte Cène, ce qui le conduit à une discipline rigoureuse qu’il confiera au pouvoir séculier de la ville et qui sera la source de toutes les difficultés et de toutes les luttes à Genève.
Cette discipline était telle qu’elle pouvait conduire à l’amende et même à la prison.
C’est l’Etat qui applique la discipline et s’il y a lieu prononce l’ex-communion.
Mais pour Calvin, ce n’est pas l’Etat mais l’Eglise qui seule a le droit d’excommunier.
Aussi les calvinistes se sont-ils plus tard accommodés à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Pour bien distinguer les vrais partisans de la Réforme de ceux qui étaient restés attachés plus ou moins ouvertement au " papisme ", fut rédigée une confession de foi qui conduirait au bannissement de Genève ceux qui ne voudraient pas jurer.
Il y eut de l’opposition de la part de ceux qui étaient restés fidèles au catholicisme et des libertins qui n’acceptaient pas d’être soumis à la discipline.
Par la suite, pour une question secondaire relative au rite de la Sainte Cène, il y eut conflit entre Calvin et le pouvoir central et il fut sommé de quitter la ville et aboutit à Strasbourg.
Calvin à Strasbourg
Libre et désireux de se remettre à ses études en toute tranquillité, Calvin est de nouveau pressé par Bucer, l’évêque de Strasbourg, de se remettre à l’enseignement, et pendant près de 3 ans, il va poursuivre son ministère à Strasbourg.
Il sera d’abord pasteur des réfugiés français, en 1538.
La petite communauté des " bannis de France " comptera jusqu’à 500 à 600 âmes.
Une de ses premières préoccupations sera la discipline.
Il remplace la confession auriculaire catholique par un entretien particulier, sorte d’examen préalable à l’admission de la Sainte Cène.
Calvin prêchait à Strasbourg quatre fois par semaine.
Le culte est conduit selon une liturgie bien établie et un peu ritualiste, qui s’étendra à toutes les Eglises calvinistes du monde entier.
Calvin fut un vrai pasteur, acceptant avec humilité et fidélité tous les devoirs de sa charge, mais en même temps il était professeur.
Il donne des leçons de théologie et explique les livres du Nouveau Testament.
De France, beaucoup de jeunes gens et même des savants venaient pour l’écouter.
Calvin vit pauvrement et malgré cela, il reçoit des pensionnaires qui sont aussi pauvres que lui.
En 1540, il se marie avec la veuve d’un homme qui s’était converti sur son lit de mort.
Cette personne s’appelait Idelette de Bure.
Elle avait toutes les qualités rêvées.
Elle fut, pour le réformateur, une femme dévouée qui le seconda dans son ministère, mais qui mourut jeune encore après une longue et douloureuse maladie.
Retour à Genève
Après avoir été chassé de Genève, Calvin y rentrait de nouveau en 1541.
Il s’y était en effet produit une véritable révolution.
La Réforme avait été compromise durant quelque temps, mais ses partisans avaient repris le pouvoir.
Ceux qui avaient banni Calvin l’avaient été à leur tour.
Genève a besoin de Calvin et le réclame, mais ce dernier hésite et finalement cède par unique souci de la gloire de Dieu et de l’unité de l’Eglise.
Il témoignait ainsi d’humilité et d’oubli de soi.
Il avait été banni pour avoir établi une discipline ecclésiastique, et c’est à l’établissement de cette discipline qu’il va consacrer tout son labeur.
Mais le réformateur voit se dresser contre lui le parti des libertins qui finiront par arriver au pouvoir.
Ces libertins voulaient vivre " sans gêne ".
Ils refusaient la discipline calviniste, détestaient les français, les pasteurs et surtout Calvin.
S’ils l’avaient emporté, c’eût été la ruine de Genève et celle de la Réforme, qui se fut vidée de sa haute moralité, l’un de ses plus nobles aspects.
C’est dans ce contexte de luttes que se situe le procès de Servet : " Lamentable épisode de la vie de Calvin " comme le soulignent ses admirateurs eux-mêmes.
D’origine espagnole, Servet avait étudié la médecine, la Bible, la philosophie, le Talmud, l’astrologie, le droit, la géographie.
A 20 ans, en 1531, il avait publié son premier ouvrage intitulé : " Sur les erreurs de la Trinité ".
Par ce traité, Servet qui passait pour être protestant, provoqua la colère de tous les réformateurs car il renversait la doctrine de la Trinité et risquait de donner aux adversaires de la Réforme une arme redoutable.
Plus tard, il écrivit un autre ouvrage : " Restitution de la religion chrétienne " qui renversait et détruisait le christianisme tel que catholiques et protestants le concevaient.
Convaincu d’être l’auteur de la " Restitution, " il fut d’abord condamné par l’Inquisition à être brûlé à petit feu ainsi que ses livres.
Il parvint à échapper et seule son effigie fut brûlée, mais à Genève le procès qui lui fut fait eut un tout autre dénouement puisqu’il périt dans les flammes.
Rien ne peut excuser ni légitimer cela, bien que Calvin eût souhaité que la fin de Servet soit plus douce.
Il y eut une erreur et les vrais fils spirituels de Calvin ont élevé sur l’emplacement du bûcher de Servet une pierre avec l’inscription suivante :
Fils
Respectueux et reconnaissants de Calvin
Notre grand réformateur,
Mais condamnant une erreur
Qui fut celle de son siècle,
Et fermement attachés
A la liberté de conscience
Selon les vrais principes
De la réformation et de l’Evangile,
Nous avons élevé
Ce monument expiatoire
Le 27 octobre 1903.
Cette pierre est unique au monde.
Si Servet avait été acquitté, Calvin se trouvait moralement condamné et son œuvre avec lui.
Genève, la cité calviniste. La mort de Calvin
Le procès de Michel Servet avait fortifié l’autorité de Calvin, mais la lutte n’était pas terminée.
Genève accueillait beaucoup de familles françaises qui avaient fui les persécutions et s’y sentaient en sécurité, mais suscitaient beaucoup de haine.
De plus le parti des libertins, de ceux qui rejetaient la discipline et voulaient vivre à leur guise, fomenta une pétition mais qui heureusement tourna à leur défaite.
Les amis de Calvin sont au pouvoir et Genève va devenir la cité calviniste, pétrie par l’inflexible volonté et le génie du réformateur, le véritable maître de la cité, par son influence et son autorité.
Il voulait que l’honneur de Dieu soit maintenu à Genève et il imprima une empreinte de haute moralité et de puritanisme austère pour des siècles.
Dans le domaine spirituel, l’Eglise doit exercer la discipline, délivrée de toute mainmise de l’Etat, ce qui n’était pas le cas dans l’Eglise luthérienne.
L’Etat calviniste devait être un Etat moral et il le fut.
Il a créé les races de citoyens libres et moraux, les puritains, dont le nom est devenu célèbre dans le monde entier.
L’Eglise de Genève ne donne pas seulement un exemple de vie morale, grâce à son austère discipline, mais encore comme foyer de charité et d’amour par les œuvres d’assistances et d’entraide.
La cité calviniste est exposée à bien des dangers, mais elle compte sur le secours de Dieu sans pour cela négliger l’effort de l’homme : " Nous sommes ouvriers avec Dieu. "
C’est ainsi que Henri II, roi de France et Philippe II, roi d’Espagne, s’étaient ligués contre Genève où se réfugiaient leurs sujets persécutés à cause de leur foi.
Le danger était grand pour la cité calviniste.
On vit alors le peuple entier se mettre à l’œuvre pour travailler aux fortifications de la ville.
Henri II fut tué dans un tournoi mais ce jugement divin n’arrêta pas l’activité des Genevois.
La Réforme a toujours attaché une importance capitale à l’instruction publique, elle voulait mettre la Bible entre les mains de tous, mais il faut que tous sachent lire.
Le rayonnement de Genève, la cité calviniste pétrie par la foi, l’ardente volonté et le génie du réformateur, fut universel.
Du vivant de Calvin, le protestantisme parvint en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Pologne et en Hongrie.
Après sa mort, il s’implanta en Amérique et en Afrique du Sud.
On lui demande des pasteurs.
En 20 ans, 120 pasteurs furent envoyés en France, encore que ce nombre fut loin de répondre à tous les besoins.
Calvin était considéré par tous comme le chef de la Réforme en France.
Tant de travaux, de veilles, de luttes, d’efforts, de soucis, l’avaient usé.
De plus il était malade.
Le 24 décembre 1559, il avait eu un abondant crachement de sang.
C’était la phtisie qui se déclarait.
Il avait en outre la goutte, et des calculs qui le faisaient cruellement souffrir.
Ses dernières années furent un véritable martyre, mais la volonté, toujours tendue, ne permettait pas à la maladie de l’abattre et il continuait ses prodigieux labeurs.
Son mal augmentait toujours et il disait souvent ces mots : " Seigneur, jusques à quand ? "
Après bien des souffrances, mais toujours actif jusqu’au dernier moment, il rendit l’esprit le 27 mai 1564.
" Si paisiblement qu’il semblait plutôt endormi que mort " écrira-t-on.
Ainsi qu’il l’avait ordonné, on ne mit aucune pierre sur sa tombe et nul n’en connaît l’emplacement.
Regards sur l’homme
Calvin n’est pas pleinement sympathique.
Il a eu des défauts mais on ne peut s’empêcher de l’admirer.
C’est une grande personnalité, une des plus grandes de l’histoire et sa grandeur le confond avec celle de son œuvre.
Un poète dira de lui :
" L’Eglise avait besoin de ton âpre génie,
Tu vins pour l’affranchir, non pour t’en faire aimer. "
On lui a souvent reproché une extrême irritabilité et de violentes colères qui le laissaient ensuite dans un profond accablement.
Son état de santé, car il fut malade toute sa vie, peut expliquer cela, mais il savait reconnaître son péché et pleurer sur ses emportements.
Le labeur de cet homme infatigable fut prodigieux et cependant il se plaint, par excès d’humilité, d’être trop indolent et paresseux.
Plus prodigieuse encore est sa volonté.
Elle explique son travail incessant et considérable au sein de douloureuses défaillances physiques.
C’est grâce à cette volonté de fer qu’il est parvenu à triompher de ses adversaires et à accomplir son œuvre à Genève.
Le grand mobile qui rend Calvin invincible c’est : " L’honneur de Dieu " et comme il le dira : " Il faut que Dieu gagne ! "
En identifiant sa cause avec celle de Dieu, il fut dur et parfois injuste avec ses adversaires qu’il considérait alors comme les adversaires de Dieu.
Quand il s’est agi de la doctrine, il a souvent fait preuve de fanatisme intransigeant.
En particulier, l’un des points les plus contestables sur lesquels il fut le plus souvent attaqué fut la prédestination telle qu’il la concevait et qui ne laissait aucune chance de salut à ceux qui, de son point de vue, n’avaient pas été arbitrairement choisis de Dieu de toute éternité.
Il croyait posséder la vérité absolue, d’où son intransigeance en matière doctrinale jusqu’à l’intolérance, bien qu’il savait distinguer entre les points secondaires et les points essentiels qu’il jugeait fondamentaux.
Ceux qui étaient en désaccord avec lui, étaient bannis de Genève.
Vivre pour la vérité est une force, mais identifier cette dernière avec sa propre conception peut devenir faiblesse.
Ce fut parfois le cas pour Calvin.
Calvin était un timide et comme on a dit de lui : " Il était tout en chair vive et d’une extrême susceptibilité nerveuse ".
Il était peiné par un manque d’égards, bouleversé par le moindre reproche venant surtout de ses amis.
Personne a-t-on dit n’a été haï comme lui, mais personne n’a été aimé comme lui.
Il avait d’excellents amis et une foule d’admirateurs passionnés vinrent le rejoindre à Genève.
" On venait habiter à côté, à quelques pas, dans la rue, en face, au coin, jamais assez près. "
Disons un mot maintenant de son désintéressement.
Calvin n’a jamais aimé l’argent ; à Strasbourg, il a vécu dans la misère, à Genève, il avait un traitement raisonnable mais il avait de grands frais.
A ses adversaires qui l’accusaient de thésauriser, il répondit : " S’il y en a que je ne puis persuader de mon vivant que je ne sois riche, ma mort le montrera finalement " et c’est ce qui se vérifia.
Devant ce caractère qui ne fut pas sans défauts, un mot s’impose, celui de grandeur.
Il fut grand par la foi, grand par la volonté, grand dans ses affections comme violent dans ses haines, grand dans son austérité et dans son désintéressement.
Cette grandeur ne fut pas toujours la grandeur évangélique.
En effet, à bien des égards, il est un homme de l’Ancien Testament qui met parfois sur le même pied toute la révélation biblique.
C’est un homme de l’Ancien Testament quand il veut punir de mort l’adultère, quand il demande pour le magistrat le droit de châtier les hérétiques et de punir de mort le sacrilège.
Ses admirateurs auraient aimé entendre plus souvent le murmure doux et subtil de l’Evangile.
Néanmoins, par d’autres aspects, il fut un vrai disciple du Crucifié par le don de lui-même à la cause de l’Evangile, comme le confirment ses propres paroles : " J’offre mon cœur comme immolé en sacrifice au Seigneur. "
Le pasteur
Bien qu’il ne fut jamais consacré, il fut pasteur par une extraordinaire vocation de Dieu.
Pour lui, la puissance des serviteurs de Dieu " est toute contenue et limitée au ministère de la Parole. "
A leur sujet, il disait : " Par conséquent, qu’ils osent hardiment toutes choses par la Parole de Dieu, de laquelle ils sont constitués dispensateurs ; qu’ils commandent par elle à tous depuis le plus grand jusqu’au plus petit ; qu’ils édifient la maison de Christ, qu’ils démolissent le règne de Satan, qu’ils paissent les brebis, tuent les loups, instruisent et exhortent les dociles, reprennent et convainquent les rebelles, mais tout en la Parole de Dieu. "
Calvin fut ce pasteur fidèle à réaliser cet idéal comme :
- le berger qui paît les brebis : le directeur de conscience,
- le berger qui s’oppose aux loups : le polémiste,
- le ministre de la Parole de Dieu : le prédicateur.
Calvin visitait les malades et recevait chez lui ceux qui avaient besoin de conseils, mais il était aussi pasteur auprès des grands ce qui constitue peut-être le plus difficile des ministères : rester ferme et digne sans se laisser intimider par la noblesse de la naissance.
Dans toutes ses démarches, son attitude est inspirée par sa grande pensée théologique : Dieu fait tout, Dieu est la cause suprême de tout ce qui arrive.
C’est là le point central et vital du calvinisme ; c’est aussi peut-être celui qui a soulevé le plus d’objections.
Calvin a été le pasteur des martyres.
Il les a soutenus par des lettres brûlantes de ferveur et de foi qu’ils recevaient dans leur prison et dont les encouragements les fortifiaient, à l’heure où s’allumait le bûcher.
Il a été le pasteur des brebis et de celles " destinées à la boucherie ", mais il a été terrible aux loups.
Pour lui, les loups, ce sont tous les propagateurs de fausses doctrines, aussi bien les incrédules et les hérétiques que les papistes.
Il ne faut pas oublier qu’au XVIème siècle, les loups déchiraient et brûlaient les martyrs sur les bûchers.
Calvin, tel un bon berger, a su défendre les brebis de son pâturage contre les attaques des loups, mais la grande chose était de les nourrir, et nous trouvons le prédicateur.
Pour lui, la Bible agit d’elle-même, elle est la nourriture de l’âme.
Le sermon de Calvin est une simple explication du texte biblique, verset par verset.
Il épuise son texte. Cette méthode l’empêchait de tenir compte de l’année ecclésiastique, s’opposant ainsi aux fêtes innombrables de l’Eglise Catholique.
Le théologien
Au regard de la postérité, Calvin demeure avant tout un théologien, dont la pensée centrale se résume à la souveraineté absolue de Dieu.
C’est ce qui fait dire que le calvinisme est théocentrique.
Le fidèle calviniste a sa vie orientée vers Dieu, il n’a d’autre but que la gloire de Dieu.
Le but suprême de la vie humaine est la gloire de Dieu.
Ses amis appelaient Calvin " le théologien ", l’homme qui parle de Dieu mais qui vit en Dieu.
En le faisant cause suprême et unique de tout ce qui arrive, Calvin ne laisse aucune place au hasard. Il n’y a rien qui n’arrive sans avoir été décrété par Dieu.
Dieu dirige l’histoire, et non seulement les révolutions, les guerres, les grandes migrations des peuples ont leur cause dernière au conseil de Dieu, mais encore les faits divers les plus banals, car Dieu est si grand que pour lui, rien n’est petit.
Une telle conception de la Providence ne laisse pas de place à la liberté.
La pensée propre au calvinisme, c’est que Dieu est tout et qu’il fait tout, d’où l’objection qui en découle : Dieu serait alors l’auteur du mal ?
Non pas car Calvin affirme que chez l’homme, la conscience morale prouve sa responsabilité et sa culpabilité.
Pour ce qui est de la personne et de l’œuvre de Christ, Calvin s’en est tenu aux conceptions traditionnelles de l’Eglise, en soutenant que c’est la grâce souveraine de Dieu qui seule rend efficace l’œuvre du Christ.
La piété calviniste : Dépendance et confiance
Dépendance et confiance trouvent leur expression la plus haute dans la prière.
C’est encore la souveraineté absolue de Dieu qui se traduit par ces deux attitudes dans la piété réformée.
Pour Calvin, l’homme étant radicalement incapable de faire le bien est totalement dépendant de Dieu et c’est ainsi qu’il en arrivera à la prédestination, considérant que l’homme ne peut coopérer avec la grâce, et de là, à la complète dépendance spirituelle.
Aujourd’hui, on est choqué avec raison par l’aspect négatif de cette position extrême : Le rejet des damnés.
A l’époque, les calvinistes considéraient la certitude de leur propre salut et louaient la grâce souveraine de Dieu qui les avait élus de toute éternité.
Avec la dépendance et inséparable d’elle, Calvin a insisté sur la confiance faisant écho aux paroles de Paul : " Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni le présent, ni l’avenir, rien au monde ne peut nous séparer de l’amour de Dieu ! "
Comment le fidèle n’aurait-il pas confiance, sachant que rien n’arrive sans la volonté de Dieu ?
Il faut noter cependant que la doctrine de la prédestination inconditionnelle de Calvin, abandonnée aujourd’hui, donnait aux âmes du XVIème siècle, exposées à une affreuse persécution, une certitude inaliénable, une parfaite assurance du salut.
La plupart des chrétiens d’aujourd’hui, même calvinistes ne peuvent affirmer ce double décret de salut et de damnation qui remplissait d’effroi Calvin lui-même.
La moralité calviniste
Dans son catéchisme, Calvin déclare : " Dieu étant souverain, nous avons l’obligation de le servir, de vivre pour lui, de rapporter notre vie à sa gloire, de ne plus rien penser, méditer, ni faire, sinon à la gloire de Dieu.
Le vrai calviniste manifeste sa volonté de fidélité et de service dans les plus humbles choses, dans les moindres détails de l’existence et de la profession.
C’est là, la source de la probité, de la droiture, de la conscience qui ont conduit à forger l’expression proverbiale : honnête comme un huguenot !
L’obéissance à Dieu, déclare Calvin est en premier obéissance à la Parole de Dieu, à la Bible et à ce qu’elle commande.
Il ne faut pas chercher la volonté de Dieu ailleurs que dans sa Parole.
La morale calviniste est essentiellement pratique.
Le fidèle calviniste est loin d’être individualiste ; il a des regards bien ouverts sur le monde.
Calvin et nous
La piété calviniste a fait les huguenots, les puritains, les martyrs.
Elle résulte du grand principe théorique : Dieu avant tout, au-dessus de tout et de tous.
Nous avons pris peu à peu l’habitude de mettre l’homme au centre de l’univers et de proclamer les droits de l’homme, indépendamment des droits de Dieu et il semble parfois comme on l’a dit : " Que Dieu soit fait pour l’homme et non pas l’homme pour Dieu ! "
Ce n’est pas la pensée de Calvin qui déclare : " Nous devons avoir un tel zèle à l’honneur de Dieu que, quand il est blessé, nous en sentions une angoisse qui nous brûle le cœur. "
Calvin a eu le grand mérite, tout comme d’autres réformateurs, de revenir aux sources de la vérité évangélique en des temps très durs où ceux qui étaient considérés comme hérétiques étaient cruellement persécutés.
Son œuvre considérable a permis l’apparition, dans le monde, d’autres mouvements dont nous sommes issus aujourd’hui.
Nous avons plus de lumière que n’en possédaient ces hommes et à cause de cela, il nous sera beaucoup plus redemandé !
Que cette grande figure qui fut à l’origine du protestantisme soit pour nous, même si nous ne recevons ses enseignements dans leur intégralité, un exemple de consécration et de persévérance.
Il est certain que le nom de Calvin évoque en premier, pour les esprits mal informés, ses faiblesses et ses erreurs : la prédestination arbitraire, le châtiment par le feu de Servet, l’intolérance en matière de morale, mais pourrait-on dire, cela est l’arbre qui cache la forêt.
Les réformateurs et Calvin en particulier, ont vécu en des temps de ténèbres anti-chrétiennes telles qu’ils ne pouvaient arriver d’un coup à la perfection.
Ces hommes n’en restent pas moins des témoins de Christ, et en considérant leur zèle pour l’Evangile, nous pouvons nous appliquer cette exhortation de l’Epître aux Hébreux :
" Nous donc aussi, puisque nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau, et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, ayant les regards sur Jésus… "