Les causes de la réforme
Au XVIème siècle, l’Eglise catholique-romaine était, en Europe occidentale, une des plus grandes puissances qui aient jamais existé sur la terre.
Ses missionnaires avaient vaincu les dernières résistances du paganisme, ses moines, en défrichant les forêts, avaient contribué à la prospérité économique, ses chevaliers avaient créé une tradition de vaillance désintéressée, sa puissante organisation avait servi de centre à l’unité européenne.
Son chef avait le pouvoir de délier les sujets du serment de fidélité envers le souverain, le feu des bûchers avait eu raison des imprudents qui avaient essayé de secouer le joug.
Quand Rome avait parlé, la cause était entendue.
Et cependant, tout le passé de l’Eglise catholique romaine et toute sa puissance se retournaient contre elle.
A proprement parler, le Christianisme n’avait pas vaincu l’âme païenne ; il s’en était accommodé.
Entre les cultes anciens et la religion du pape, il était intervenu un accord tacite où chacun avait fait des concessions pour avoir la paix.
En réalité, c’était l’Eglise qui avait fait les plus grandes ; sous le nom de saints et de saintes, elle avait admis aux autels les divinités païennes, se contentant de modifier simplement les inscriptions, au socle des statues.
Dans la messe, dans les processions surtout, elle s’était appliquée à conserver la forme des cultes qu’elle avait détrônés ; elle leur avait emprunté les pèlerinages, l’encens, l’eau bénite, et jusqu’aux costumes de ses prêtres.
Derrière ce badigeon, la figure du Christ disparaissait.
Comme toutes les puissances qui se croient invisibles, l’Eglise abusait de sa force.
Les papes prétendaient que leur autorité était indiscutable et, en cas de conflit avec les empereurs, ils entendaient avoir le dernier mot.
Le clergé avait réussi à se soustraire à la juridiction des tribunaux ordinaires et s’en prévalait pour se livrer à tous les excès de la dépravation et du crime.
L’Eglise défendait au peuple de lire la Bible, aux docteurs de l’étudier, aux prédicateurs de l’enseigner.
Bossuet lui-même est obligé de le reconnaitre.
" Plusieurs prédicateurs, dit-il, ne prêchaient que les indulgences, les pèlerinages, l’aumône donnée aux religieux…
Ils ne parlaient pas autant qu’il fallait de la grâce de Jésus-Christ. "
L’obéissance au Christ était remplacée par l’obéissance au pape.
Et non contente de régenter la terre, l’Eglise voulait encore disposer du ciel.
On pouvait obtenir le rachat des péchés, non par la repentance et la foi en Jésus-Christ, mais à prix d’argent, et une fois pour toutes.
Les moines s’étaient institués les entrepreneurs, les directeurs, les commis-voyageurs même, de l’odieux trafic des indulgences.
On les vendait à l’enchère, au son de la grosse caisse, sur les places publiques.
Au fond des presbytères, dans les provinces reculées, les âmes pieuses gémissaient de voir le niveau moral de l’Eglise inférieur à celui du peuple lui-même.
Les paysans du Piémont et de l’Albigeois, les disciples de Wiclef et de Jean Huss, les Frères de Moravie et de Bohême poussaient des cris étouffés dans la flamme des bûchers.
Les théologiens eux-mêmes ne pouvaient retenir leur indignation ; Bernard de Clairvaux, Gerson, d’Ailly, Nicolas de Clémargis avaient fait entendre cet appel :
Une réforme, une réforme dans l’Eglise, une réforme dans le Chef et dans les membres, dans la foi et dans les mœurs !
Les rois et les empereurs n’avaient pas pardonné au pape Grégoire VII d’avoir humilié un des leurs.
Ils gardaient le cuisant souvenir d’Henri, empereur d’Allemagne, se rendant à Canossa et attendant, pendant trois jours, les pieds nus dans la neige, le bon plaisir du pape.
Les croyants demandaient la réforme de l’Eglise, au nom de la piété, les théologiens au nom de la raison, les princes au nom de la politique.
La politique devait bien se mêler des affaires de la réforme, la théologie ne devait pas y être étrangère.
Mais la réforme devait être surtout un grand mouvement populaire inspiré par la foi.
C. E. G.
Au temple
Depuis de longs mois, je désirais ardemment assister à un culte public du christianisme réformé ; mais dans notre Anjou clérical, les églises et les chapelles catholiques foisonnent, tandis que les temples sont faciles à compter.
J’ai connu jusqu’à la satiété les enseignements et les pratiques du culte catholique ; et c’est l’écœurement qui, vers ma trentième année, m’a éloigné de l’Eglise dans laquelle je suis né et dont j’ai failli devenir un ministre.
Je sentais instinctivement que l’Eglise cléricale n’était pas l’Eglise du Christ.
Mais mon éducation première avait créé en moi de tels préjugés contre les hérétiques que je ne songeai pas tout d’abord à rechercher ailleurs la vérité.
Pendant huit années, je m’abstins de toute pratique religieuse extérieure.
J’en étais à cette période d’abstention totale, lorsqu’en 1908, je fus mis en relation avec un pasteur de La Rochelle.
Je lui fis part de mon état d’âme ; une correspondance s’établit entre nous.
Entre temps, il m’abonna à L’Ami et au Messager du Dimanche.
C’est à cet excellent homme que je dois d’avoir retrouvé la paix du cœur
" Examinez toutes choses, me disait-il, et retenez ce qui est bon. "
Et encore " Lisez l’Evangile et demandez à Dieu de vous éclairer ; ce n’est pas des hommes qu’il vous faut attendre la vérité, mais c’est de Dieu. "
Depuis lors, l’Ami est devenu mon bien cher ami ; ses visites mensuelles me paraissent trop peu fréquentes.
Depuis lors également, la lecture du Messager a fait naître en moi le désir de m’associer, au moins une fois dans ma vie, aux prières publiques de mes frères en Christ.
Ce désir, je l’ai réalisé à ma grande satisfaction, le dimanche 1er décembre courant.
J’étais ce jour-là de passage à Angers avec trois de mes enfants.
Pendant que les cloches de la cathédrale sonnaient à toutes volées et que, de toutes les rues y aboutissant, de véritables foules débouchaient pour venir s’entasser dans la vaste nef, nous nous dirigions vers l’humble temple de l’Eglise évangélique.
La cathédrale dresse sur sa colline ses deux flèches de soixante-neuf mètres de hauteur et domine toute la cité ; le temple, ancienne chapelle de Marie de Médicis, est comme écrasé, dans une ruelle étroite, entre le Musée et l’Ecole des Beaux-Arts.
Cette humble posture le rapproche davantage, m’a-t-il semblé, de l’étable de Bethléem et de l’atelier de Nazareth.
Ce fut là ma première impression avant d’en franchir le seuil. L’aspect extérieur ne fit que la confirmer.
Ici, aucune trace de luxe, mais la simplicité la plus absolue ; une chaire sans prétention, une énorme Bible ouverte sur une table ; aux murs, les deux tables de la Loi et l’Oraison dominicale.
Une vague odeur d’air renfermé laisse pressentir l’abandon des foules qui, comme les papillons, ne se laissent prendre qu’à l’éclat des lustres.
Peu à peu vinrent se grouper autour de nous une cinquantaine de fidèles habitués.
La ville d’Angers, qui compte quatre-vingt mille habitants, n’envoie que cinquante personnes à l’humble temple où l’on n’adore qu’en esprit, tandis qu’elle entasse des foules dans les dix églises où l’on flatte les sens par l’étalage du luxe le plus bruyant.
A dix heures et demie, au son de l’orgue modeste, le pasteur traversa le temple et monta dans la chaire.
Je ne sais s’il me sera donné d’assister encore à semblable réunion de prière ; mais j’en garderai, ma vie entière, l’ineffaçable souvenir.
J’ai compris là, pour la première fois, que Jésus tient sa promesse d’être présent là où plusieurs personnes sont réunies pour prier.
Pour la première fois, j’ai senti que ma pensée entière s’unissait à la pensée du pasteur et des fidèles.
Lorsque, de sa belle voix grave et pénétrante, il dit : " Prions, " de toute mon âme j’ai répondu à son appel et j’ai prié.
Lorsque son clair regard a croisé le mien, j’ai eu l’impression que cet homme était l’incarnation de la foi libre, joyeuse et sincère, qu’il n’y avait rien en lui d’hypocrite ou d’apprêté.
Cette conviction s’affermit encore pendant le sermon qui fut, de sa part, un effort réel pour rechercher la vérité, d’un commun accord avec ses frères.
Il cherchait et nous invitait à chercher la " Face de l’Eternel ", et certes, il a réussi à soulever pour moi un coin du voile qui la dissimule.
Je me suis surtout attaché à cette pensée " que Dieu a besoin de notre collaboration pour l’établissement définitif de son règne, pour la lutte du bien contre le mal. "
Quel beau rôle que celui-là et quel attachement ne doit-il pas nous donner pour la Grande Œuvre, si nous sommes convaincus que nous avons l’honneur d’en être les collaborateurs.
Heureux ceux qui peuvent, chaque dimanche, se réunir fraternellement pour prier et chanter dans un langage qu’ils comprennent, sans gestes vains, sans poses conventionnelles, sans exhibitions théâtrales.
Ils ne connaissent pas le prix de ce bonheur que je leur envie, que j’ai entrevu et que les circonstances m’interdisent de partager.
L’Eglise où toutes les généreuses aspirations sont permises est plus près du Christ que celle qui s’est faite la gardienne farouche de toutes les injustices du passé et de toutes les iniquités sociales.
Voilà ce que je tenais à dire, aussi brièvement que possible, au Directeur de l’Ami, en reconnaissance de tout le bien qu’il m’a fait.
G.G.