Pasteur de l’Eglise Réformée de Paris. Il est né à Morges, en Suisse, en 1831.

Il est l’auteur d’une dizaine de cantiques.

A son retour des Etats-Unis, il entreprend des études de théologie à l’Oratoire de Genève proche du Réveil.

A Paris, il fréquente la Chapelle Tait bout – haut lieu du Réveil.

Il rencontre la famille Hollard et épouse la fille Marie en 1855 dont il aura 5 enfants.

Il travaille dans l’Evangélisation au Faubourg Saint Antoine, et il aide son oncle, Victor de Préssensé dans des sociétés issues du Réveil.

Pendant 14 ans, il est pasteur de la chapelle Tait bout.

C’est un prédicateur connu et apprécié.

En 1868, il ouvre la chapelle de l’Etoile, qui peu à peu devient l’Eglise Evangélique de l’Etoile.

Il fonde différentes œuvres et meurt en 1889 à 59 ans en pleine activité.

Il a écrit de nombreux livres sur l’histoire du protestantisme français.

Bersier était un homme de paix et d’union, qui a recherché à établir l’unité de l’Eglise Réformée déchirée.

En 1863 parait le premier de ses sept volumes de sermons.

Auteur d’une dizaine de cantiques dont les plus connus sont :

- Sur les Epoux, Père Eternel.

- Pour triompher dans les combats.

- Lève-toi vaillante armée.

Ces cantiques sont sur le recueil des Ailes de la Foi.

La pitié de Dieu

" Ne te fallait-il pas avoir pitié de ton compagnon de service comme j’avais eu pitié de toi ? " Matthieu 18 : 33

Vous avez tous présente à l’esprit, mes frères, la parabole d’où ces mots sont tirés.

Un roi d’Orient exige que ses intendants lui rendent leurs comptes.

L’un d’entre eux, élevé sans doute à une position des plus hautes, se trouve redevable d’une somme énorme : dix mille talents, c'est-à-dire quarante millions de notre monnaie.

Cet homme est insolvable, et, d’après la loi, il faut que tout ce qu’il possède, il faut que lui-même, sa femme et ses enfants soient vendus.

Il se jette aux pieds du roi : " Seigneur, lui crie-t-il, aie patience envers moi, et je te paierai tout. "

Alors le roi, ému de compassion, non seulement le laisse aller, mais lui remet sa dette tout entière.

Le voilà libre ; il s’en va, lorsque sur sa route, il rencontre un de ses débiteurs qui lui devait une somme insignifiante, cinquante deniers.

Il le saisit par la gorge et l’étrangle en lui disant : " Paie-moi ce que tu me dois. "

En vain le malheureux le supplie, l’intendant le fait jeter en prison ; mais devant un acte pareil, la conscience publique proteste ; le roi est averti de ce qui vient de se passer.

Il fait venir l’intendant : " Méchant serviteur, lui dit-il, je t’avais remis toute ta dette… Ne te fallait-il pas avoir pitié de ton compagnon de service comme j’avais eu pitié de toi ? "

Et il le fait à son tour jeter en prison, où le misérable restera jusqu’à ce que tout ce qu’il doit soit payé.

J’entre dans l’esprit de ce récit, et j’y vois se détacher deux grandes idées : La pitié de Dieu envers nous, et la pitié que nous devons à nos frères.

Tel est le double sujet sur lequel je désire, avec l’aide de Dieu, appeler aujourd’hui votre attention.

Le mot de pitié est l’un de ceux qui reviennent le plus souvent dans la Bible, et l’on peut dire que ce mot, dans le sens particulier que lui donne l’Ecriture lorsqu’elle en fait un des traits du caractère de Dieu, est vraiment un mot révélé.

Il faut à ce propos signaler dans l’enseignement des Ecritures un merveilleux contraste.

Le Dieu de la Bible est saint. C’est là sa nature propre et comme le fond de son être.

C’est là aussi ce qu’ont ignoré toutes les religions naturelles et toutes les philosophies même les plus élevées, car toutes font plus ou moins remonter jusqu’à Dieu l’origine du mal ; toutes portent atteinte en quelque mesure à la pureté de la divinité.

Seuls les prophètes d’Israël nous montrent en Jéhovah un être qui a le mal en horreur.

C’est ainsi qu’il se révèle à eux.

Tel le contemple Esaïe dans sa magnifique vision du temple ; les séraphins l’entourent en se voilant la face : " Saint, saint, saint est l’Eternel des armées ; " c’est là leur cantique, et le prophète s’écrie : " Malheur à moi, car je suis un homme souillé ! "

Le Dieu d’Israël est saint.

S’il descend au milieu de son peuple, le lieu où il apparaît s’appelle comme lui le Saint des Saints ; telle est l’idée sublime que l’Ecriture nous donne de sa nature.

La loi qu’il a gravée sur le marbre du Sinaï et sur la conscience de tout homme n’est que l’expression de son être.

Si cette loi est immortelle, c’est qu’il est lui-même l’Eternel.

Si nous sommes obligés de l’accomplir, c’est que nous avons été créés à l’image de Dieu.

Ce n’est pas là une obligation arbitraire, c’est le but idéal mais raisonnable et inévitable qui nous est assigné : " Soyez saints, car je suis saint ! "

Et cependant, c’est ce même Dieu saint par essence et gardien jaloux de la loi qu’il a faite qui nous apparaît plein de pitié envers l’humanité coupable, et jamais cette miséricorde n’a été exprimée en termes plus émouvants que dans ce livre qui parle avec tant de force de son immuable sainteté.

Oui, quand nous lisons ces pages de l’Ancien Testament, dans lesquelles une critique ignorante et pleine de préventions ne veut voir qu’un Jéhovah étroit et farouche, nous y rencontrons des effusions de tendresse divine qui annoncent déjà l’Evangile.

A travers les ombres d’une révélation incomplète encore, c’est l’aurore resplendissante du jour de grâce qui doit se lever bientôt sur l’humanité.

Moïse a demandé à l’Eternel de lui révéler ce qu’il est.

" Et l’Eternel passa devant lui, dit l’Ecriture, et une voix s’écria : " L’Eternel, l’Eternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, qui conserve l’amour jusqu’en mille générations, qui pardonne l’iniquité, la rébellion et le péché " (Exode 34 : 6 et 7).

Nulle part cette compassion n’est dépeinte avec tant de beauté que dans le livre des Psaumes.

Il faudrait ici reproduire page après page : " L’Eternel est miséricordieux et compatissant, lent à la colère et riche en bonté. Il ne conteste pas sans cesse et ne garde pas sa colère à toujours.

Il ne nous traite pas selon nos péchés, il ne nous punit pas selon nos iniquités. Autant l’Orient est éloigné de l’Occident, autant il éloigne de nous nos transgressions. Comme un père a compassion de ses enfants, l’Eternel a compassion de ceux qui le craignent " (Psaume 103 : 8 à 13).

Quand les prophètes parlent de la miséricorde de Jéhovah envers son peuple rebelle, ils empruntent leurs images aux plus vives affections humaines, sans craindre de rabaisser ainsi la dignité de Dieu.

" La mère peut-elle oublier son enfant qu’elle allaite et n’avoir pas pitié du fils de ses entrailles ? Mais quand elle l’oublierait, moi je ne t’oublierai pas, dit l’Eternel " (Esaïe 49 : 15).

Ailleurs, c’est la femme égarée et criminelle que son époux outragé rappelle en lui promettant le pardon, et le prophète semble nous montrer comme à dessein l’excès de l’opprobre et de la souillure chez les coupables, afin de faire d’autant mieux resplendir sur ce sombre fond des turpitudes humaines l’éclat des compassions de Dieu.

Or, je dis que cette idée de pitié ainsi attribuée à Dieu est une idée révélée.

Ni le spectacle de la nature, ni l’étude de ses lois ne pouvaient l’enseigner aux hommes et les religions issues de la nature ne pouvaient pas la connaître.

Il y a des attributs de Dieu que la nature enseigne à ceux qui l’interrogent dans un esprit religieux.

L’existence même de la Divinité, sa puissance, sa merveilleuse adaptation des moyens à leur but dans toutes ses œuvres, la beauté qui les pare, et, dans un autre ordre, sa justice offensée qui réclame une expiation, voilà ce que les païens eux-mêmes ont pu connaître et proclamer souvent dans un magnifique langage.

Et saint Paul déclare manifestement que le droit instinct de la conscience suffit pour arriver à cette théologie naturelle qui est comme le vestibule sublime de la religion véritable.

Mais la nature n’a jamais révélé la compassion de Dieu.

Le cœur de l’homme a pu la pressentir.

Il a pu espérer vaguement qu’à ses aspirations profondes correspondrait peut-être une pitié infinie, mais en dehors de la révélation rien ne lui a dit avec certitude que cette espérance fut fondée.

Le cri de détresse de l’humanité désolée est monté vers le ciel à travers les siècles sans recevoir de réponse.

Elle a prêté l’oreille et n’a entendu revenir à elle que l’écho de ses gémissements, semblable à la plainte éternelle des flots que les rochers de la rive envoient à l’Océan qui vient se briser à leurs pieds.

La nature n’enseigne pas la pitié.

Les enfants croient le contraire lorsqu’ils attribuent à tout ce qui vit autour d’eux, à tout ce qui les enchante, aux fleurs, aux oiseaux, aux êtres gracieux ou forts dont le monde animal est peuplé, les sentiments qui remplissent leurs âmes naïves.

Mais l’expérience impitoyable vient dissiper leurs rêves, et sous la dure et froide clarté de la science elle leur montre d’un bout à l’autre de la création la grande loi de la destruction et de ce que l’on peut nommer l’entretuerie universelle.

Partout la mort comme condition de la vie, partout ce qu’on appelle de nos jours la lutte pour l’existence.

Et sur cet immense champ de bataille ou plutôt sur ce cimetière dont les générations nouvelles remuent chacune à son tour le sol toujours tourmenté, les moissons, les fleurs et les fruits sortent d’autant plus riches et d’autant plus nombreux que leurs racines ont été plus imprégnées de sang.

Ah ! La nature, si belle à certaines heures, a de formidables contrastes.

C’est un mécanisme merveilleux dont rien n’arrête la marche inflexible et terrible, et qui ne s’émeut pas plus de nos protestations que la locomotive ne s’apitoie sur les sanglants débris de l’innocent enfant qui s’est aventuré en souriant sur les rails de nos chemins de fer.

Le Dieu que révèle la nature ne connaît pas la pitié.

Ce Dieu, un de nos grands poètes l’a dépeint dans un magnifique langage :

Être sans attributs, force sans providence,

Exerçant au hasard une aveugle puissance,

Vrai Saturne, enfantant, dévorant tour à tour,

Faisant le mal sans haine et le bien sans amour,

N’ayant pour tout dessein qu’un éternel caprice,

Ne commandant ni foi, ni loi, ni sacrifice,

Livrant le faible au fort et le juste au trépas,

Et dont la raison dit : Est-il ou n’est-il pas ?

Et ici je dirai à ceux qui nient la révélation, ou plutôt (car je l’espère, il n’y a dans cette enceinte aucun sceptique de parti pris), je dirai à ceux qui se laissent aller complaisamment vers les négations modernes avec ce demi scepticisme qui semble à tant d’hommes la marque d’un esprit distingué, je leur dirai :

" Prenez-y garde ; quand vous aurez fait disparaître le Dieu surnaturel, quand vous n’aurez plus devant vous que la nature, avec quoi consolerez-vous l’humanité ?

Car enfin, elle souffre, elle souffrira toujours, elle souffre dans ce siècle d’analyse et de science autant et plus encore qu’elle ne souffrait autrefois, et, bien que les statistiques accordent, nous dit-on, quelques jours de plus à la durée moyenne de l’existence, elle n’est pas près du moment où la maladie et la mort, sans parler des affreux déchirements du cœur, auront disparu pour jamais.

Avec quoi donc la consolerez-vous ?

Vous voulez l’émanciper, mais si aux croyances qui adoucissent ses peines et qui sèchent ses larmes vous n’opposez que des négations stériles, si vous lui interdisez l’espérance, croyez-vous qu’elle vous suivra longtemps ?

Ah ! Je vous le dis, elle retournera vers ses autels vieillis et dégradés, elle enfantera s’il le faut des légendes insensées.

Et tandis que vous vous raillerez de ces dévotions singulières qui consacrent les générations nouvelles au sacré cœur de Jésus, elle y trouvera, elle, cette réalité sublime et toujours vraie qui s’appelle le cœur, c'est-à-dire l’amour infini de Dieu.

Pourquoi vous suivrait-elle ?

Où la conduiriez-vous ?

Votre terre promise, c’est l’âpre désert, non pas celui de l’Exode, avec sa manne céleste, ses eaux jaillissantes et les perspectives lointaines des ondes du Jourdain et des rives de Canaan, c’est le désert d’airain, avec les décevants mirages sous lesquels on ne trouve que des citernes arides et crevassées qui ne peuvent pas contenir d’eau.

Mais on nous dit et j’entends l’objection :

" Est-ce que vous, chrétiens, vous prétendez avoir changé la nature ?

" Est-ce que tous ces faits désolants que vous venez de rappeler sont moins des réalités pour vous que pour nous ?

" Subissez-vous moins que nous la fatalité des choses ?

" Etes-vous moins esclaves de la souffrance et de la mort ?

" Les lois éternelles vous épargnent-elles ?

" Et si dans ce commun malheur de notre race, vous êtes frappés comme nous, quelle raison vous autorise à parler de la pitié de Dieu ? "

Voilà l’objection et voici ma réponse :

Très certainement, nous subissons tous, chrétiens ou incrédules, les lois inflexibles de la nature.

Nous n’avons jamais prétendu qu’elles n’existent pas pour tous.

La Bible n’est pas un livre d’enfants qui nie les âpres réalités de nos destinées.

C’est un livre viril et fait pour les hommes.

Nous ne cherchons point une consolation illusoire qui consisterait à nier ce qu’il a de fatal en apparence dans notre destinée.

Nous admettons sans hésiter que dans le domaine de la loi, la pitié n’est pas de mise, car le propre de la loi c’est la logique inflexible, et la conséquence de la pitié c’est la grâce suspendant les effets de la loi.

Je ne crains même pas d’affirmer qu’aucun livre n’est, plus que la Bible, pénétré de l’idée de la loi.

Soit qu’elle parle de l’ordre que Dieu a établi dans la nature, insistant sur la merveilleuse sagesse qu’il y déploie, sur la stabilité de ses décrets, soit surtout qu’elle parle de la loi morale elle-même et qu’elle nous la représente, ainsi que nous le disions il y a un instant, aussi ferme, aussi éternelle, aussi exempte d’arbitraire que le caractère de Dieu lui-même dont cette loi n’est que l’expression.

La loi, mais c’est le nom même de la première révélation biblique, c’est le dépôt sacré qu’Israël devait porter avec lui.

C’est la loi qui resplendit dans la plus grande scène de l’histoire juive, sur les hauteurs du Sinaï où toutes les majestés et toutes les terreurs de la nature semblent lui faire cortège et proclamer qu’à elle seule appartient l’éternelle majesté.

C’est la loi qui se fait entendre dans des accents plus doux, mais avec un caractère plus spirituel, plus pénétrant, plus obligatoire encore sur le mont des Béatitudes où Jésus formule la charte du royaume des cieux.

C’est la loi, à laquelle il obéit lui-même quand il tourne son visage vers Jérusalem où il doit mourir.

C’est la loi qui lui présente à Gethsémané la coupe pleine d’amertume de la colère divine qu’il veut apaiser.

C’est la loi qui, après avoir dressé sa croix sur le Calvaire, l’y fait monter comme une pure et sainte victime obéissant jusqu’à la mort.

C’est la loi qu’il glorifie dans tous ses actes, dans toutes ses paroles, par tous les battements de son cœur.

Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a senti, tout ce qu’il a souffert, n’a pas eu d’autre but que de proclamer la sainteté de la loi divine.

" Tu prendras une lame d’or pur, avait dit Dieu à Moïse, et tu y graveras ces mots : Sainteté à l’Eternel ! Elle sera sur le front d’Aaron, et Aaron se chargera de toutes les iniquités commises par les enfants d’Israël quand il se présentera devant moi " (Exode 28 : 36 à 38).

Mes frères, ces mots : Sainteté à l’Eternel ! Je les vois briller d’un éclat que l’or le plus pur n’eut jamais, sur le front sanglant et couronné d’épines du Grand Prêtre de l’humanité mourant pour proclamer que l’Eternel est saint.

Ainsi, vous le voyez, l’Evangile accepte la loi.

Il la maintient, il l’affirme, mais (et c’est ici notre réponse) au-dessus de la région dans laquelle la loi s’exerce, il nous en montre une autre, c’est celle de l’amour et de la pitié de Dieu.

Que la loi soit obligatoire, qu’elle soit aveugle et inflexible, cela doit être, et notre raison le sent bien, qu’elle exerce sa vengeance, c'est-à-dire sa sanction, sur l’ensemble de l’humanité coupable, nul ne peut l’empêcher, mais au-dessus de cette volonté sainte qui châtie la révolte, il y a en Dieu un amour infini pour les révoltés eux-mêmes.

Voilà ce que l’Evangile nous apprend, voilà ce que seul il a révélé au monde, voilà ce dont il a fait pour des millions d’âmes une certitude bienheureuse.

L’Evangile seul a pu faire croire à l’homme que Dieu n’est pas seulement un être, une intelligence, une volonté, mais un cœur, que dans ce cœur, il y a un amour plus haut que les montagnes, plus profond que les abîmes de l’Océan, plus fort et plus durable que la terre et les cieux, que cet amour, parce qu’il est infiniment grand, s’exerce envers des êtres infiniment petits et misérables.

Qu’il n’y a pas une créature humaine qui n’en soit l’objet en quelque mesure, pas une pour laquelle le Maître souverain de l’univers n’ait des intentions de pitié.

L’Evangile seul a pu faire croire à l’homme que non seulement sa petitesse et son insignifiance ne le font pas échapper au regard de Dieu, mais que ses transgressions, ses chutes et ses souillures ne lui retirent pas son amour, et que la miséricorde divine est assez puissante pour arracher son âme d’un océan de fange et d’infamie.

Et cette certitude, l’Evangile ne l’a pas proclamée seulement en quelques paroles magnifiques avec cet accent d’autorité qui seul réussit à porter la conviction au fond des consciences, il l’a écrite dans la vie du Christ Jésus, sur le front.

Dans le regard, dans l’accent du Fils de l’homme, il l’a montrée dans ce ministère incomparable où pendant trois ans le ciel a visité la terre, dans ces divines paraboles qui ont révélé à l’humanité le Dieu vrai, dans ces entretiens, dans ces guérisons, dans ces pardons du Christ que nous commentons à genoux, dans l’effusion du père serrant sur son cœur son fils prodigue, dans la parole qui relève la femme pécheresse et l’apôtre renégat, dans les compassions de Jésus envers les multitudes égarées, dans le cri du Calvaire : " Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! "

Voilà, mes frères, ma réponse, voilà ce qui fait que nous, chrétiens, nous croyons à la pitié de Dieu.

Mais pourquoi parler d’une manière générale quand c’est de notre propre histoire dont il s’agit ici ?

Nous tous qui composons cette assemblée, qui sommes-nous si ce n’est des coupables dont Dieu a eu pitié ?

Cette parabole que je médite ici, n’est-ce pas le tableau frappant de nos rapports avec Dieu ?

Ces dix mille talents que nous devions, ce sont ces grâces accumulées, ces dons de la santé, de la fortune pour quelques-uns, du nécessaire pour presque tous, ce sont ces affections saintes et pures qui ont réchauffé notre cœur, ce sont ces guérisons inespérées, ces délivrances imprévues, ces joies imméritées, ces épreuves même toutes mêlées d’adoucissements divins et de consolations.

Ce sont ces lumières accordées à notre jeunesse, ces saintes Ecritures ouvertes à nos yeux, cette liberté spirituelle, ce baiser et cette prière d’une mère pieuse se penchant sur notre berceau, ce sont tant de pardons effaçant tant de fautes et tant de hontes peut-être, ce sont ces relèvements, ces encouragements, toutes ces bénédictions enfin qui nous crient que nous serions les plus ingrats des hommes si nous n’en sommes pas les plus reconnaissants.

Et quand il s’agit de payer une dette si lourde, ô mon Dieu, quand l’heure de l’obéissance est venue, quand tu t’approches, quand tu nous dis : " Rendez compte de votre administration !"

Nous n’avons à t’offrir que des cœurs tièdes, des mains avares, des œuvres toutes mêlées d’égoïsme, tellement que, si tu nous traitais selon ta justice, selon ta loi dont notre conscience proclame l’équité, nous serions infailliblement et justement perdus….

Et cependant, ô Dieu saint, tu fais grâce, ton cœur s’émeut de compassion, tu uses encore de patience et de long support.

Tu te souviens d’avoir pitié, pitié de cet ouvrier de la onzième heure qui m’écoute peut-être, qui se sent condamné par toute une vie d’égoïsme et de dissipation, et qu’un élan de repentir va jeter, lui souillé, lui criminel, dans tes bras, ô sainteté infinie….

Voilà l’Evangile, voilà notre histoire, et de nos lèvres impures nous osons répéter la grande parole de l’apôtre : " Qui pourra nous séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ ? "

Mes frères, si tout cela est vrai, est-ce que vous ne sentez pas vibrer dans vos consciences la parole de mon texte ?

" Ne te faut-il pas avoir pitié de tes frères, comme j’ai eu pitié de toi ? "

La pitié envers nos frères, c’est là en effet le second point qui va nous occuper.

Je voudrais écarter ici toute idée fausse.

Il y a un instant je distinguais deux domaines où la volonté de Dieu s’exerce, celui de la loi et celui de la pitié.

Or, cette distinction doit se retrouver dans les rapports des hommes entre eux.

La pitié que nous devons à nos frères ne doit jamais porter atteinte à la loi.

La loi est l’expression du droit, elle doit être la même pour tous, elle ne peut pas connaître d’exception.

Qu’il s’agisse, par exemple, des relations politiques qui forment la société, ou des relations d’affaires où l’intérêt seul est en jeu, il est évident que le droit de tous doit être affirmé d’une manière stricte et inflexible.

Si la miséricorde s’y exerçait aux dépens de la justice, si l’homme intègre était sacrifié au coupable, si le criminel révolté attirait plus la sympathie que le citoyen laborieux, si la femme tombée était mise au-dessus de l’épouse honnête, si l’aumône était faite aux dépens d’une dette sacrée, ce serait le renversement manifeste de la volonté divine.

J’insiste sur ce point, et vous ne trouverez dans cette insistance rien d’excessif, si vous vous rappelez que l’idée de la justice naturelle est l’une des armes dont l’incrédulité contemporaine s’est servie avec le plus de puissance et d’habileté contre le christianisme.

On prétend que le christianisme c’est la doctrine de l’arbitraire, que la grâce c’est le caprice, et qu’en attribuant à Dieu les émotions et les variations d’une nature aimante et passionnée, on anéantit tout ordre scientifique et moral.

Un autre motif qui a contribué puissamment à séparer dans les esprits de nos contemporains l’idée de justice de l’idée religieuse, c’est la vue de la politique de l’Eglise.

Il n’est que trop certain que la politique de l’Eglise a souvent sacrifié les libertés des peuples à ses propres fins, qu’elle n’a souvent eu d’autre principe que son triomphe, encensant ou maudissant les pouvoirs, suivant qu’ils lui assuraient ou lui refusaient leur concours.

Aussi rien n’a été plus facile que d’inspirer à la démocratie moderne une défiance profonde et qui semble invincible à l’égard d’un système qui, sous le prétexte de servir la gloire de Dieu, méconnaît quand il lui plait tous les droits naturels et sacrifie tout à son propre succès.

C’est ainsi qu’on en est venu à substituer l’idée abstraite de la justice à celle d’un Dieu personnel et vivant, et que, par une conséquence étrange à première vue, mais très logique au fond, en n’insistant que sur la justice, on en arrive à repousser l’idéal de miséricorde et de pitié que l’Evangile a fait entrer dans le monde.

Cela semble incroyable, mais cela est : Rien ne devrait être plus populaire auprès d’une société démocratique que l’idée chrétienne du pardon, de la compassion, de la pitié.

Il n’en est pas qui soulève aujourd’hui, dans une certaine presse, plus de colère et d’antipathie.

C’est la justice que l’on veut et rien que la justice.

C’est au nom du droit humain et naturel que l’on prétend en finir sommairement avec toutes les théologies et toutes les morales du passé.

Mes frères, nous devons loyalement reconnaître que, dans cette accusation passionnée, il y a une grande part de vérité.

Certes, ce n’est pas l’Evangile qui la mérite, mais ce sont ses infidèles représentants.

Il ne faut pas laisser affaiblir les deux idées sacrées de la loi et de la justice.

Plus nous les affirmerons, au contraire, plus nous dégagerons la notion vraie de la pitié.

Je m’explique par un exemple.

Il y a dans le Sermon sur la montagne des passages célèbres :

" Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui l’autre.

" Si quelqu’un veut t’intenter un procès pour prendre ta tunique, abandonne-lui aussi le manteau.

" Si quelqu’un te contraint de faire une lieue, fais-en deux avec lui " (Matthieu 5 : 39 à 42).

Or, il est évident que Jésus-Christ n’a jamais prétendu faire de ces préceptes une règle sociale.

Toute société qui laisserait impunément violer le droit du faible serait bientôt condamnée à périr.

La société doit affirmer rigoureusement l’idée du droit.

Les chrétiens, en leur qualité de citoyens, ou de membres d’une association terrestre quelconque, sont tenus de faire respecter la dignité de chacun.

Même dans cette première des sociétés qui s’appelle la famille, ils devront maintenir inviolable l’honneur dû au père et à la mère, et les droits de l’enfant.

Ce ne sont pas eux qui doivent laisser amoindrir l’idée de la justice, telle que les Romains l’ont définie dans leur énergique langage : Reddere cuique suum. Rendre à chacun ce qui lui est dû.

Tout attentat à la liberté, à la pureté, à la propriété, doit être frappé par la loi.

Céder sur ce point, c’est fausser la pensée du Christ, c’est livrer à l’arbitraire les petits, les ignorants, les faibles, les pauvres, c'est-à-dire ceux que le Christ a le plus aimés, et dont il s’est constitué le représentant éternel.

Où sera donc, me dira-t-on, la place de la pitié ?

Ne craignez rien !

Il ne s’agit pas de la sacrifier.

Quand la société aura affirmé sans faiblir l’idée du droit, ce sera aux individus qui la composent à se dessaisir de ce droit, à exercer la miséricorde, et la pitié sera d’autant plus belle alors qu’elle sera volontaire, qu’elle deviendra la libre expression de la force, au lieu d’être celle de la faiblesse.

Le même homme pourra et devra tour à tour demander que justice lui soit faite et, après avoir faire reconnaître son droit, réclamer le pardon pour ceux que la justice atteint.

C’est donc en me plaçant dans une sphère supérieure à la sphère sociale, c’est en m’adressant à la conscience de chacun de ceux qui m’écoutent, que je vous adresse les paroles de mon texte :

" Ne te faut-il pas avoir pitié de ton frère, puisque Dieu a eu pitié de toi ? "

Pitié de ton frère !

Il s’agit ici, ne l’oublions pas, de la pitié envers ceux qui nous ont volontairement offensés.

Hélas ! Si c’était à ceux-là seulement que nous la refusons !

Mais avons-nous toujours besoin d’être offensés pour être impitoyables ?

Non, nous le savons bien.

Il y a des êtres qui ne nous ont jamais fait de mal, et qui ont eu le malheur de nous déplaire.

Sans qu’ils s’en doutent, ils ont excité nos répugnances.

Leur apparence, leur langage, moins encore que cela, nous a blessés, et c’est avec une incroyable légèreté que nous justifions ce sentiment, en disant qu’ils nous sont antipathiques, sans songer à ce que cette antipathie a parfois de sauvage et cruel.

Voyez chez l’enfant l’éclat de rire excité souvent par la vue de la difformité et de la souffrance.

C’est une joie dont le caractère épouvante.

On est stupéfait de voir tant d’insouciance s’allier aisément à tant de cruauté.

Eh bien !

Malgré l’éducation, malgré la réflexion, quelque chose de cet instinct survit chez les meilleurs, et il suffit d’assister à une conversation mondaine pour voir que ce n’est pas de l’enfance seule qu’il faut dire : " Elle est sans pitié. "

Que de jugements sévères, irréfléchis, qui ne reposent que sur des apparences !

Que d’êtres qui nous déplaisent et auxquels nous en faisons un crime sans qu’ils en sachent rien !

Que de misérables préjugés de caste, d’éducation, d’Eglise, qui tarissent en nous la compassion et nous font éprouver en face de souffrances imméritées des sentiments odieux que l’enfer ne désavouerait pas !

Pitié donc, vous dirai-je tout d’abord, pitié pour ceux qui jamais ne nous ont voulu de mal.

Mais, je vais plus loin, et au nom de l’Evangile surnaturel en ceci comme en tout le reste, je vous dis : " Pitié pour ceux qui vous ont offensés. "

Oh ! Que le pardon des injures est rare !

Misérables que nous sommes, oubliant les dix mille talents que Dieu nous a remis, nous ne songeons qu’aux cent deniers qui nous sont dus.

Avec quelle ténacité nous conservons le souvenir des torts d’autrui !

Comme les blessures anciennes se rouvrent vite !

Comme les paroles acerbes, les propos mortifiants, les railleries, que dis-je ?

Les simples manques d’égard s’impriment dans notre mémoire en caractères indélébiles !

On a mille fois décrit les rancunes religieuses ; jamais on ne les a flétries avec trop de force.

C’est à l’ombre du sanctuaire qu’elles se sont souvent donné carrière avec la véhémence la plus sauvage.

L’histoire de l’Eglise considérée par ce côté est vraiment navrante !

Je me souviens de cette page célèbre dans laquelle Tertullien exhale une joie affreuse en savourant par avance la vue des ennemis du christianisme torturés dans un éternel brasier !

Suivez dès lors le cours des siècles.

Ecoutez les cris sinistres de haine et de vengeance qui se sont mêlés aux prières des croyants.

Rappelez-vous tant de scènes atroces qui se sont passées en face de la croix !

Prêtez l’oreille aujourd’hui même aux dénonciations, aux aigres railleries, aux furieuses polémiques de certains partis religieux !

Est-ce que tout cela ne suffirait pas à expliquer la lenteur des progrès de la cause chrétienne, ses humiliants reculs et ses défaillances ?

Ah ! Nous voulons prouver que le christianisme est surnaturel !

Montrons donc qu’en nous-même il a vaincu la nature avec ses colères et ses haines.

Révélons au monde cette chose trop oubliée, qui s’appelle la miséricorde, et rappelons-lui, en l’apprenant nous-mêmes comme pour la première fois, que la force à laquelle appartient la victoire, c’est l’amour qui efface, qui pardonne et qui absout.

 

61 - Etude sur Marie de Béthanie et sur Es...

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62 - Jean CALVIN

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76 - Le premier et le plus grand commandem...

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Tout par grâce - Sermons de SPURGEON Un sermon à propos des joncs. " Le jon...

78 - Le repentance et ses fruits

Pour les chrétiens attiédis - Sermons de MOODY La repentance et ses fruits...

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" Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (Matthieu 19 : 19) Très souvent...

80 - Renée DE BENOIT

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