La station de Mara
Le train express entra bruyamment en gare.
Le contrôleur cria le nom de la station et ouvrit vivement les portières.
Un jeune homme, qui semblait très pressé, descendait rapidement d’un wagon, quand sa lourde valise lui échappa des mains, et faisant un mouvement brusque pour la retenir, son pied glissa sur le marchepied couvert de glace.
Il tomba lourdement sur le dos, tandis que sa tête allait frapper la rampe de l’escalier, et resta là, gisant par terre, sans mouvement.
Cependant il n’était pas mort, mais seulement évanoui.
On le transporta en toute hâte à l’hôtel le plus proche, et un médecin fut aussitôt appelé.
Celui-ci parut très inquiet, non pas de la blessure à la tête qui lui sembla peu grave, mais des désordres que pouvait avoir amenés la chute sur la colonne vertébrale.
Le blessé ayant recouvré sa connaissance, put répondre aux questions qui lui étaient adressées.
On télégraphia dans différentes directions, et bientôt ses parents furent auprès de lui, ainsi que sa fiancée et la mère de celle-ci.
Pauvre jeune homme ! Il était justement en route pour se marier.
Les visages anxieux des siens, leurs larmes difficilement contenues, l’air préoccupé du médecin, et sa propre et évidente faiblesse, dirent au blessé combien grave était son état.
En effet, le docteur avait dit : " Fort ébranlement de la moelle épinière, - peu d’espoir ! "
Il lui fallait maintenant de la patience pour traverser les semaines et les longs mois pendant lesquels il n’y eut ni amélioration, ni aggravation dans son état.
Mais où prendre de la patience ?
Sa mère, il est vrai, était restée auprès de lui, et on avait appelé une diaconesse pour le soigner.
Malgré cela, comme le temps passait lentement !
Aussi l’humeur du malade s’assombrissait-elle toujours plus.
Il pensait au commerce qu’il venait d’entreprendre, au beau voyage de noces qu’il se proposait de faire avec sa jeune épouse, à tous ces arrangements qu’il s’était plu à disposer et dont il lui avait aménagé la surprise dans leur nouveau foyer, à tous les plaisirs et les joies qu’il avait espérés.
Et le voilà couché sur un lit de souffrance, l’espoir d’une guérison diminuant chaque jour.
Devait-il donc mourir si jeune encore ?
A ces pensées, le désespoir s’emparait de son cœur et s’exhalait souvent en plaintes amères et même en imprécations.
Lorsqu’il était moins agité, il acceptait volontiers qu’on lui lût un journal ou quelque livre.
Un soir, la diaconesse lui demanda s’il voulait lui permettre de lui lire une portion des Saintes Ecritures.
Il parut surpris ; un sourire moqueur se dessina sur son visage, cependant il dit d’un ton bref :
" Si vous voulez ! "
Alors la diaconesse lut dans le livre de l’Exode, chapitre 15, versets 23 à 26 : " Les fils d’Israël vinrent à Mara (amertume) ; mais ils ne pouvaient boire des eaux de Mara, car elles étaient amères…. et le peuple murmura contre Moïse, disant : " Que boirons-nous ? " Et il cria à l’Eternel, et l’Eternel nous enseigna un bois, et il le jeta dans les eaux, et les eaux devinrent douces."
- Pourquoi avez-vous choisi ce passage ? demanda le malade à la garde.
- J’ai pensé que cela vous convenait, car, vous aussi, vous êtes maintenant venu à Mara.
- Oui, certainement, répondit-il. La station d’ici devrait s’appeler " Mara " ; c’est-à-dire " amertume. " Si seulement l’arbre qui rendit douce l’eau amère croissait aussi ici.
- Cet arbre croît ici, monsieur, affirma la diaconesse d’un ton positif.
Et comme le malade se taisait, elle continua à lui parler de Jésus, le Sauveur, cet arbre de vie dont les feuilles sont pour la guérison des nations ; de Jésus qui a dit : " Je suis le chemin, et la vérité et la vie ", et qui, parlant de ses brebis, prononçait ces paroles : " Je suis venu afin qu’elles aient la vie, (et qu’elles l’aient en abondance " (Jean, chapitre 14, verset 6 et Jean, chapitre 10, verset 10).
Le malade écoutait en silence.
- Vous est-il désagréable d’entendre parler de Jésus ? demanda la diaconesse.
- Non, non, répondit-il avec empressement.
Mais en même temps, ce qu’il entendait portait ses pensées ailleurs.
Il avait autrefois entendu des paroles et lu des passages semblables, lorsque, étant jeune garçon, il s’asseyait au chevet de sa grand-mère qui était restée alitée durant de nombreuses années.
Elle parlait toujours du Seigneur Jésus, et était toujours si joyeuse et si patiente !
De temps à autre elle lui demandait de lire dans la Bible, et elle lui faisait relire si souvent certains passages, que plusieurs fois il lui avait dit : " Mais grand-mère, nous les savons déjà par cœur. "
Alors elle répondait : " Retiens-les seulement ; tu en auras besoin un jour. "
Et le temps était venu où il avait réellement besoin de la Parole de Dieu.
Son cœur, il est vrai, se révoltait ; sa raison aussi ne voulait pas se soumettre et tout son être intérieur résistait devant le jugement de lui-même et la repentance.
Il trouvait dur d’admettre que ce terrible coup qui, en un instant, avait détruit tout son bonheur et ses espérances terrestres, avait été dirigé par la main du Dieu d’amour pour amener son cœur à Lui.
Mais la vivante et permanente Parole de Dieu gardait sa puissance.
Il goûta de ce bois qui rend douce l’eau la plus amère.
Il trouva la paix en Jésus, l’Agneau de Dieu, qui, pour sauver son âme immortelle, était mort sur la croix.
Dès lors il fut heureux et soumis.
Dieu, qui était devenu son Père en Jésus-Christ, avait tout bien fait ; il le reconnaissait et pouvait le bénir pour toutes ses voies envers lui.
L’hiver et le printemps avaient passé.
L’été commençait à faire place à l’automne lorsqu’un matin le malade appela :
- Sœur Anna, sœur Anna !
La fidèle garde accourut près de lui.
- Je pense que j’ai séjourné assez longtemps à la station de Mara, lui dit-il avec un doux sourire ; il faut maintenant aller plus loin.
La diaconesse le comprit. Elle savait qu’il désirait déloger pour être avec Christ. Elle lui demanda :
- Dois-je réveiller votre mère ? Il fit un signe affirmatif, et bientôt sa mère fut à son chevet.
On télégraphia aux autres parents, mais ils arrivèrent trop tard. Avec les yeux pleins de larmes, la mère leur dit :
- Il se fit lire encore une fois l’histoire de Mara, et lorsqu’on eut achevé ces paroles : " L’Eternel lui enseigna un certain bois, et il le jeta dans les eaux, et les eaux devinrent douces," il dit : " Amen " et entra dans le repos éternel, là-haut dans la maison du Père.
Cher lecteur, que vous dit cette courte et saisissante histoire ?
Ne vous montre-t-elle pas que Dieu a des pensées de paix à l’égard des hommes, même lorsque, souvent, il semble qu’il en soit tout autrement ?
Oui, les voies de Dieu, si sérieuses et en apparence parfois si dures, ont pour but " de détourner l’homme de ce qu’il fait…. et de préserver son âme de la fosse, afin qu’il soit éclairé de la lumière des vivants. " (Job, chapitre 33).
Voilà où en était arrivé Job, l’homme juste si fortement éprouvé.
Dieu veut, par les épreuves et les souffrances qu’Il envoie, atteindre ce triple but : Détourner du chemin large, préserver de la condamnation éternelle, et illuminer l’âme de la lumière de la vie qui conduit à la gloire céleste.
C’est par Jésus, venu pour chercher et sauver ce qui est perdu, que Dieu accomplit ce dessein de son amour.
Mon cher lecteur, Dieu a peut-être renversé les plans de bonheur que vous aviez formés et que vous caressiez ; peut-être vous a-t-Il envoyé telle ou telle douleur amère, et vous a-t-Il courbé et profondément abattu sous le poids d’une pénible épreuve.
Si ce n’est hier ou aujourd’hui, Il peut le faire demain.
Que dit votre cœur à cela ?
Se révolte-t-il en disant : " Qu’ai-je fait pour le mériter ? "
Regardez à Golgotha.
Là vous voyez sur la croix " le Seigneur de gloire. "
Il est là, l’homme de douleurs, portant le poids de vos péchés et des miens.
Comment oserions-nous parler de nos mérites ?
Selon la justice, l’éternelle condamnation serait notre part.
Ah ! Dieu veut vous attirer à ce puissant et précieux Sauveur.
Regardez à lui avec foi et vous trouverez le pardon de vos péchés, la réconciliation avec Dieu, et la vie éternelle.
Alors les eaux amères de Mara vous seront rendues douces, et quand la courte durée de votre pèlerinage aura pris fin, Jésus vous recevra près de Lui dans l’éternelle félicité.