Sa mère
C’était le grand jour de la fin de l’année scolaire du pensionnat.
Le moment palpitant était arrivé pour les lauréats de monter sur l’estrade et de prendre leur place aux applaudissements de l’auditoire.
Une jeune fille blonde, assise au centre, celle qui avait les honneurs de la journée par ses diplômes, parcourait d’un regard anxieux la vaste assemblée comme si elle y cherchait en vain quelqu’un.
Ses yeux brillèrent enfin quand elle aperçut, parmi un groupe de retardataires, une petite femme en robe noire d’un style depuis longtemps passé de mode et la tête couverte d’une capote noire fanée.
" Elle a trouvé moyen de venir ; oh ! que je suis contente ! " murmura la jeune fille tout bas.
La petite femme en noir était timide et, sans doute, avait-elle conscience de son apparence de pauvresse dans cette société de gens bien mis.
Mais le premier moment de trouble passé, elle se dirigea en toute hâte vers quelques sièges vides au premier rang, d’où elle pourrait bien voir les jeunes filles en toilettes blanches qu’on venait entendre et acclamer, et contempler tout à son aise celle du centre, pour elle la plus belle de toute.
- " Je crois que je vous trouverai des places en avant, mesdames ", dit un huissier de la porte à un groupe d’élégantes qui entraient.
" Tenez, voilà une place pour vous, madame ", ajouta-t-il d’un ton dégagé en poussant la petite femme en noir en arrière et en lui désignant un siège inoccupé derrière un gros individu aux larges épaules.
Du haut de l’estrade, la jeune fille blonde avait tout vu et des larmes d’indignation et de sentiment blessé brillèrent dans ses yeux.
Elle savait, elle, que sa mère portait cette robe fanée et démodée pour pouvoir consacrer tout son argent disponible à l’éducation de sa fille ; elle savait aussi que cette bonne mère était en retard parce qu’elle avait dû mettre de côté sa besogne pour travailler jusqu’à la dernière minute à la charmante robe blanche que sa fille portait…
L’orchestre se mit à jouer, le programme d’une soirée de triomphe pour elle et ses compagnes avait commencé, mais elle ne voyait qu’une chose, un pâle visage empreint de dignité froissée tout au bout de la salle.
Le programme touchait à sa fin ; on arrivait au dernier numéro.
La directrice se leva, et avec un soupçon de lassitude, annonça : " Mademoiselle Suzanne Ollier, notre prix d’honneur, reçue première aux examens du brevet supérieur, va nous donner maintenant une dissertation sur " le foyer idéal ! "
Les compagnes de Suzanne s’attendaient à la phrase du début, déjà entendue à la répétition : " Parmi toutes les variétés et merveilleuses relations de l’espèce humaine "…
Mais à leur grande surprise, la voix de Suzanne ne prononça point ces mots familiers ; elle ne parlait pas du " foyer idéal ", elle récitait, le cœur sur les lèvres, une simple et touchante poésie adressée à sa mère.
C’étaient des vers qu’elle avait composés pour elle seule, sans aucune intention de publicité, un soir qu’elle songeait aux sacrifices que sa mère faisait pour elle.
Tandis qu’elle parlait, l’auditoire restait suspendu à ses lèvres ; mais elle ne voyait et n’entendait rien ; son regard restait fixé sur une capote défraichie dont elle apercevait le sommet tremblotant derrière les épaules du gros monsieur.
Et quand enfin elle termina sur ces mots où vibrait toute son âme :
" O mère ! mère ! soit bénie de Dieu ! "
Un murmure qui ressemblait à un long soupir, parcourut l’assemblée qui, un moment après, éclaté en applaudissements.
- Mais Suzanne, comment avez-vous fait, comment avez-vous pu penser à quelque chose d’aussi beau ? s’écrièrent ses compagnes en s’empressant autour d’elle à la fin de la soirée.
Suzanne sourit et, les laissant en arrière, continua à se frayer un chemin vers la petite femme en robe noire dont le visage radieux témoignait qu’elle savait et comprenait.
- Mesdemoiselles, dit Suzanne fièrement, revenant vers ses compagnes et d’une voix qui tremblait d’émotion, mesdemoiselles, je vous présente ma mère !
Le roi, la reine et la bonne
Un de nos confrères raconte une histoire charmante.
C’est l’aventure d’une petite bonne française qui, voyant à Londres où elle est service, passer le roi et la reine d’Angleterre salués par la foule, se met à crier d’une voix forte : " Vive le roi ! Vive la reine ! "
Le roi et la reine saluent aussitôt : et ne voilà-t-il pas qu’ils font demi-tour (on ne peut pas arrêter un cheval net, de suite) et arrivent vers le groupe d’où le cri était parti.
Et le roi, en souriant, demande en très bon français :
- Il y a une personne qui nous a salués en français ; nous revenons pour la remercier.
Mélanie tremblait comme si elle avait commis un crime ; mais elle trouve tout de même moyen de répondre :
- Monsieur, vous êtes bien poli ; c’est trop d’honneur. J’étais bien contente rien que de vous voir passer ; mais vous me parler maintenant, et alors… vous comprenez que c’est une chose qui fait plaisir.
- Eh ! bien dit Georges V, depuis que je suis roi, c’est la première fois que j’entends crier : " Vive le roi ! " en français ; c’est une joie que mon père a eue souvent.
La reine, qui parle difficilement le français, demande à son tour à Mélanie :
- Vous étiez depuis longtemps à Londres ?
Et à peine Mélanie a-t-elle répondu : " Depuis six mois, Madame, " que le roi lui parle de nouveau.
- Aimez-vous notre pays ? …. Et les Anglais, les aimez-vous aussi ?
Mélanie répond qu’elle trouve les Anglais bien gentils, bien polis, et qu’elle aimerait beaucoup l’Angleterre s’il n’y pleuvait pas tout le temps.
Sur quoi Georges V se met à rire et reprend :
- De quelle partie de la France êtes-vous ?
- De la Drôme, monsieur.
- Ah ! de la Drôme, le pays de M. Loubet ? … Eh ! bien, Mademoiselle, je vous souhaite beaucoup de courage pour apprendre notre langue. Au revoir.
Plus près de l'idéal
C’est un lieu commun de dire que la littérature pour jeunes filles est forcément banale et quelconque.
Sans discuter une telle appréciation, prenons-la pour ce qu’elle vaut et saluons au passage le livre de Mme Hoffmann, dont le titre semble avoir des ailes ; livre bien fait, livre bien écrit, livre sortant de la banalité, livre enfin où une femme aimant les jeunes filles et se dépensant beaucoup pour elles a mis le meilleur de son cœur.
De la première page, où le titre se détache clairement sur la blancheur d’un fin papier – l’édition étant particulièrement soignée – arrivons à la table des matières.
Là, nous trouvons tout un programme de vie morale, intellectuelle et pratique, de vie saine et active telle que Dieu l’attend de nous.
En effet, être plus près de l’Idéal, ce n’est pas rester à contempler le Ciel, mais avoir le Ciel en soi, c’est-à-dire vivre assez près de Dieu pour sentir qu’il est près de nous dans toutes les circonstances de notre vie, dans toutes les tâches à remplir.
Pour atteindre cet Idéal, Mme Hoffmann donne aux jeunes filles – nous donne, car j’en suis encore – tout le long de son livre des conseils, des encouragements, des lumières.
Ce ne sont point des formules qui pourraient glacer les volontés les meilleurs ; ce sont des anecdotes, des faits tirés de l’expérience personnelle.
Ici c’est l’extrait d’une lettre, là, c’est une pensée, là encore, c’est quelque vers.
Partout des mots qui réchauffent.
Le livre fini, on le reprend avec joie.
C’est comme un ami dont la conversation vous a fait du bien, et l’on ne veut pas laisser tomber l’entretien, de peur que le bien qui vous unit à cet ami ne se rompe.
" A notre Rose, " écrit Mme Hoffmann dans sa suscription, - c’est sa fille - : " A notre Rose et aux jeunes filles, qui toutes connues ou inconnues me sont chères. "
Quelle douceur en lisant de pouvoir se dire : celle qui a écrit ce livre ne me connait pas, mais de loin, elle m’aime, elle me comprend.
Être comprise, quel rêve !
Tant de jeunes filles s’en vont par le monde découragées et lasses parce qu’elles se croient incomprises !
Oui, elles croient cela, mais en lisant les pages que leur amie Mme Hoffmann a écrites pour elles, elles découvriront que pour être compris, il faut s’appliquer à comprendre les autres.
Alors, ayant saisi le sens de la vie, qui est d’aimer, de s’oublier, de servir, elles ne s’en iront plus découragées et lasses.
Pour s’en convaincre, qu’elles lisent ces courts extraits :
Va vers Christ, oui, va sans balancer, sur le champ, telle que tu es. Quelque chose te tourmente ? va dans ta petite chambre, agenouille-toi à côté de ta chaise et dis-le Lui.
Moi qui suis ici dans un solitaire chalet de Montagne, tout près de sombres sapins secoués par les vents d’orage, au milieu de gros blocs roulants, où les mousses s’accrochent, bien loin de toutes les civilisations et qui y écris ces lignes pour toi, chère jeune fille inconnue, je voudrais tant t’aider, car tu as sûrement une croix à porter.
Chaque cœur connait sa propre amertume.
Je ne peux pas te secourir directement. Mais veux-tu suivre mon conseil ?
Je ne te le donnerais pas si je ne le savais bon, si je n’en avais fait l’expérience par moi-même.
Vois, je n’ai aucun motif pour vouloir te tromper.
Dis-toi bien qu’au contraire, je tiens à te servir, et les sacrifices ne me coûtent pas pour cela, parce que j’aime les jeunes filles avec une telle intensité que mon cœur brûle quand je pense à vous.
Aie confiance en moi, je connais le Tout-Puissant qui peut sauver.
Sois tranquille.
Celui qui incline les cœurs comme les ruisseaux d’eau, celui qui t’aime bien plus et bien plus profondément que tu ne peux te le représenter aujourd’hui, où ta connaissance est encore si incomplète, celui-là veut t’aider.
Va vers lui, tout simplement, avec toute ta misère.
N’attends pas d’en être débarrassée, va telle que tu es, à l’instant même
. Retournes-y chaque jour à nouveau.
Dis-lui au matin : " Seigneur, je sais que cette journée sera difficile, reste tout près de moi, je te donne ses heures. Si elles t’appartiennent, tu en auras soin.
En effet, il en aura soin, il te portera come sur les ailes de l’aigle au travers des tribulations.
Il t’a exaucée d’avance. Ne perds pas courage, jamais. Même si les tempêtes reviennent – elles reviendront, il nous est bon de marcher de temps en temps sous l’orage, cela nous trempe le caractère – n’oublie pas que le soleil du Dieu d’amour luit derrière les nuées les plus noires.
Il veut toujours nous aider. C’est nous qui souvent ne voulons pas qu’il nous aide.
" Ne vous mettez en souci de rien, mais, dans l’épreuve, priez. "
Mme Adolphe HOFFMANN
Le vrai bonheur, c’est celui qu’on procure aux autres ; il n’est jamais payé trop cher.
Ayez grand soin de toujours supposer le bien chez autrui.