Marguerite ou une étrange requête
Une requête des plus singulières en effet, mais faite avec tant d’insistances, que la lettre fut lue et relue avec intérêt et sympathie.
La requête était celle-ci :
Chère Madame,
Voudriez-vous pour l’amour de Dieu, retrouver ma fille en Amérique ?
Elle s’est enfuie de la maison, elle a brisé le cœur de sa pauvre mère âgée, elle a presque perdu le mien.
Son nom est Marguerite.
Si vous la trouvez, dites-lui que nous l’aimons encore, qu’elle peut revenir et sera bien accueillie.
Oh ! Pour l’amour de Dieu trouvez-là, si vous le pouvez.
Nous avons entendu parler de votre œuvre et nous avons pensé que vous voudriez bien faire cela pour elle, puisqu’elle est en Amérique, …
Recevez, etc...
C. Allemagne, 14 février 1893
Si la lettre avait demandé de chercher cette jeune fille dans la ville de New-York, j’aurais reculé devant une telle entreprise, surtout n’ayant pour toute indication que son nom : " Marguerite C. "
L’auteur de la lettre était tellement absorbé par son chagrin, qu’il avait complètement oublié de donner aucun signalement de son enfant, par lequel on aurait pu la reconnaître.
Toutefois, quand je lus le mot " Amérique ", l’immensité même du champ offert à mes recherches me rappela en quelque sorte la grandeur de l’amour de Dieu, et, me sentant absolument incapable d’entreprendre une pareille recherche, je me jetai à genoux et lui demandai avec foi que l’enfant soit retrouvée.
Ce même après-midi, je recevais une demande très pressante d’aller tenir une réunion dans une ville voisine.
En passant en revue la multitude de choses que j’avais pour cette même heure, j’étais sur le point de refuser, quand je fus arrêtée par un vague pressentiment intérieur qui me poussa à écouter la voix du Seigneur.
Après quelques instants de réflexion, je décidai d’y aller, quoique je n’aie aucune raison de le faire, si ce n’est que l’Esprit me poussait à accepter.
Le service fut des plus bénis et la présence de Dieu se manifesta avec une grande puissance.
Tandis que je parlais, je remarquais, tout au fond de la salle, près de la porte, deux ou trois jeunes filles assises ensemble.
L’une d’elles attira particulièrement mon attention par son air triste et, de temps en temps, une prière silencieuse s’élevait de mon cœur en sa faveur.
Je résolus de ne pas quitter la salle avant de m’être approchée de cette pauvre fille pour lui présenter Jésus, espérant que Dieu se servirait de moi pour lui être utile.
Quand la réunion fut terminée, je laissai donc, aussitôt que je le pus, la foule qui entourait la tribune, et allai droit à celle qui m’attirait si fortement.
La prenant par la main, je lui dis : " Chère enfant, vous ai-je déjà vue auparavant ?
" Oh ! Oui, répondit-elle, j’ai été quelques jours dans votre asile, il y a un peu plus d’un an. "
Avec quelque surprise, je lui demandai son nom.
" Mon nom est Marguerite, " répondit-elle.
Marguerite ! Marguerite, quoi ? Demandai-je avec empressement, un vague pressentiment traversant mon esprit que je me trouvai en présence de la fille qu’on me priait de retrouver " en Amérique. "
O merveilleuse bonté de Dieu !
Elle dit : " Mon nom est Marguerite C. "
En un instant, poussant un cri de joie qui lui fit jeter sur moi un regard étonné, je jetais mes bras autour d’elle et l’attirais à moi.
Je lui glissais à l’oreille la bonne nouvelle que j’avais pour elle, car elle était bien celle que ces parents réclamaient.
Pour un instant, je me mis à la place de sa mère, et, tandis que la pauvre fille appuyait sa tête fatiguée sur ma poitrine, mes larmes coulèrent abondamment sur les siennes.
Je n’oublierai jamais ce visage où la surprise, l’espérance et le bonheur se succédaient, tandis que je lisais la lettre de son père et que cette pauvre enfant réalisait qu’elle avait encore une maison paternelle et une famille qui l’attendait.
Quelques jours plus tard, dans ce modeste intérieur allemand on se réjouissait de ce que celle qui était perdue était retrouvée, et surtout on louait la fidélité de Dieu.
Depuis lors, je crains toujours de résister au moindre avertissement que je pourrais entendre intérieurement.
Car si j’avais agi d’après ma première impression, je n’aurais, sans aucun doute, jamais eu la joie de trouver cette chère enfant et de réunir à nouveau cette petite famille.
Ayons à cœur de nous tenir toujours plus près du Sauveur, afin de devenir de plus en plus sensibles aux directions de l’Esprit et d’apprendre par-là, qu’aller de l’avant " sans savoir " pour faire sa volonté, ne nous fait pas seulement marcher dans l’obéissance, mais sème notre chemin de bénédictions inattendues.
" N’abandonnez donc pas votre confiance qui doit avoir une si grande récompense " (Hébreux, chapitre 10, verset 35, 2 Corinthiens, chapitre 1, verset 20 ; Hébreux, chapitre 13, verset 8 ; Marc, chapitre 11, verset 24).
Par Mme E. M. WHITTEMORE