Délia, dite l'oiseau bleu

Chapitre 9

Discours de Délia aux prisonniers :

" Quand je regarde tous ces visages, je me demande combien il y a d’hommes ici qui connaissent Dieu.

Ne vous attendez pas à un beau discours, et ne croyez pas surtout que je sois venue ici par curiosité.

Oh ! non, Dieu m’en garde ! moi qui ai été enfermée dans un lieu semblable, et qui sais ce que c’est.

Ce n’est pas une chose agréable, croyez-le, de venir vous dire que j’ai suivi ce même chemin ; j’étais allée si loin dans le péché que tous me rejetaient, de sorte que je ne me souciais plus de ce que qui était bien ou mal, glissant, glissant toujours.

- Ainsi, j’arrivai tout en bas de la colline, méprisée même par les miens, pensant qu’il était inutile de chercher à mieux faire.

Là, tout au fond, je découvris que je pouvais prendre un autre chemin.

Chacun de vous ici découvrira la même chose s’il veut seulement se confier en Dieu.

Peut-être dites-vous : Oh ! quand je sortirai d’ici je changerai de vie, je vais tourner un nouveau feuillet.

Il importe peu que vous tourniez un nouveau feuillet.

Les résolutions ne servent pas à grand-chose.

J’ai entendu ici même un homme dire qu’une fois sorti de prison, il ne volerait plus.

Dix minutes après il était de nouveau entre les mains de la justice pour avoir volé.

D’autres diront : " Personne ne se soucie de nous, il ne sert à rien de se bien conduire ; on ne trouve jamais de travail honnête en sortant de prison. "

Vous le pourrez, mes amis, mais n’attendez pas de quitter la prison pour essayer de vous mieux conduire.

Commencez ici-même, quand ce ne serait que par une bonne parole ou un acte de complaisance.

Aidez-vous les uns les autres, et Dieu ira au-devant de vous.

Il redressera les chemins tortueux et aplanira les sentiers pierreux et il se formera autour de vous des appuis auxquels vous n’aviez jamais pensé.

Autrefois, je m’imaginais qu’un acte de bonté ou une parole d’encouragement était en sorte un enfantillage : aujourd’hui Dieu m’a donné des amis parmi ceux qui m’avaient rejetée autrefois.

Oh ! C’était si triste auparavant de voir ceux qui m’avaient aimée en des jours meilleurs éviter de marcher près de moi dans les rues, et me regarder avec un tel air de mépris !

Souvent, nous disons : " Cela m’est bien égal ! " et avec un front hardi et une lèvre dédaigneuse, nous répétons : " Qu’est-ce que cela me fait ? "

Et cependant, quoique nous nous moquions des conséquences quand nous nous embarquons dans quelque mauvaise affaire, lorsque vient la punition, nous sommes des lâches !

Ce n’est pas que j’ai lu ou entendu raconter ces choses : je les ai expérimentées bien des fois.

Nous n’arrivons pas tout d’un coup au fond de l’abîme, nous y glissons.

Nous imitons les gens respectables de la haute société, pensons-nous.

Peut-être commençons-nous par boire du vin ; mais je sais ce que c’est que de convoiter un verre d’eau de vie.

Oh ! Mes amis, qu’avons-nous gagné à servir le démon ? Pouvez-vous me le dire ?

Moi, je le puis : misère, mépris, emprisonnement, maladie.

Quand nous nous enrôlons à ce service, Satan nous montre ses diamants, ce n’est que du verre ; de l’or, c’est du cuivre ; des habits de soie, ce sont des haillons.

Et moi, demanderez-vous, qu’ai-je gagné au service de Jésus-Christ ?

- Amour, paix, joie et bonheur à la pensée d’aller vers Lui s’il me rappelait cette nuit même, sachant que je l’ai servi de mon mieux tout le long du jour.

Quand j’étais si mauvaise, aimant à me faire craindre même de ceux dont je partageais la vie de débauches, j’avais souvent peur et ne me serais jamais mise au lit sans une lampe brûlant à côté de moi.

Je n’aurais pas non plus couché dans une maison isolée.

Le soir, je me demandais où je me réveillerais le lendemain, car j’avais été une fois enlevée de mon lit par un agent de police.

Et le matin, j’ignorais où je passerais la nuit suivante, si je ne serais pas enfermée pour ivrognerie, débauche ou tapage dans la rue.

Vous comprenez qu’il m’est dur de vous raconter tout cela, quoiqu’il y en ait beaucoup d’entre vous qui me connaissent ou qui savent d’où je viens et ce que j’ai été ; mais pour en arriver à ceci : Si Dieu a pu me sauver, il peut vous sauver tous ; car vous savez qu’on dit que lorsqu’une femme est tombée, elle descend plus bas qu’un homme.

Quelques-uns ont peut-être connu l’amour de Dieu et l’ont rejeté. Peut-être se sont-ils moqués de lui comme je l’ai fait bien des fois.

Je me rappelle qu’un samedi après-midi, étant à l’hôpital de la Charité où m’avaient amenée mes désordres, une jeune dame missionnaire entra dans notre salle.

J’étais assise dans un fauteuil et lui tournais le dos.

Elle me mit la main sur l’épaule et me demanda : " Avez-vous trouvé Jésus ? "

Je me retournai, et la regardant avec un sourire moqueur, je répondis hardiment : " Non, était-il perdu ? "

Une grande compassion se peignit sur son visage et sans être décontenancée elle commença à chanter :

Rien, ô Jésus que ta grâce,

Que ton sang versé pour moi.

Alors je la priai d’aller promener, ne me souciant pas d’entendre ces choses, surtout de la bouche d’une protestante.

Déjà toute enfant, je haïssais les protestants et n’aurais pas voulu être assise à l’école auprès d’une fille de cette religion.

Ma religion, à moi, était de pure forme, quelquefois même j’esquivais l’ordre de mon père d’aller à l’église et me contentais d’y jeter un coup d’œil pour voir si le prêtre était à l’autel, de peur que mon père ne me fit des questions quand je rentrerais à la maison.

Quand je quittais l’hôpital, ce fut pour m’enfoncer toujours plus dans le vice ; je m’étais promis de ne plus boire et de ne plus me livrer à la débauche.

Avant la nuit, j’étais ivre et j’avais recommencé à servir le démon plus fidèlement que jamais.

Il m’envoya plusieurs fois en prison et à l’hôpital ; mais jamais il ne m’aida à sortir de peine.

Puis d’un ton pathétique, Délia raconta à ces quinze cents hommes rivés à ses lèvres la manière merveilleuse dont Dieu l’avait sauvée et transformée ; cette rose, qui, en se flétrissant sous ses yeux, lui avait montré comment se flétrissaient l’une après l’autre les années de sa triste vie.

La détermination prise, le tendre accueil qu’elle avait reçu au Refuge et cette prière pleine d’amour qui avait fondu son cœur.

" Et, ajouta-t-elle, si vous me demandez combien de temps cela m’a pris pour abandonner sans retour ma vie de péché, je vous répondrai : Environ trois minutes, à l’instant même où je demandai à Dieu de le faire.

J’avais essayé tant de fois de me réformer comme beaucoup d’entre vous l’ont fait, que je ne croyais guère que cela pût se faire, mais quand cette dame du Refuge me dit que Dieu voulait s’en charger si je lui demandais, je priai en disant :

" Maintenant, ô Dieu, j’ai besoin que vous me changiez, et je vous demande de le faire, si vous le pouvez. Donnez-moi un esprit calme et ôtez-moi le goût des liqueurs, du tabac et de l’opium, et je ferai tout ce que vous me commanderez. "

Je me relevai de cette prière, déterminée à faire ce qui est bien et à servir Dieu à tout prix.

Et pour moi, savez-vous ce que signifiait cette expression ?

C’était de retourner pour essayer de sauver mes compagnons de péché dans cet endroit d’où il m’avait tirée en me disant : " Sortez du milieu d’eux et vous en séparez. " (2 Corinthiens, chapitre 6, verset 17)

J’ai souvent pensé à ce verset et aussi au commencement de ce cantique : " Il y avait quatre-vingt-dix-neuf brebis et une centième qui s’était égarée. "

Cette centième, c’est moi, que Jésus est venu pour sauver.

C’est vous aussi qu’il veut recevoir dans son bercail pour compléter son troupeau.

Ne voulez-vous pas lui céder aussi et agir comme des hommes ?

Vous ne regretterez jamais d’avoir fait ce pas quand vous aurez ainsi donné votre cœur à Dieu, vous pourrez lui dire tous vos besoins, lui demander de vous aider, de vous enseigner le chemin et de vous guider dans la vie, et il fera tout cela.

Ce ne sera pas un acte de lâcheté, mais l’acte le plus viril que vous ayez jamais fait.

Avant de terminer, je viens vous demander de prier pour moi, afin que, quoiqu’il en soit, si les amis se détournent de moi, ou si c’est la mort qui m’attend dans ce chemin, je demeure attachée à Jésus-Christ qui ne m’abandonnera jamais ; car il est écrit : " Quand mon père et ma mère m’auraient abandonné, l’Eternel me recueillera. " (Psaume, chapitre 27, verset 10)

Dieu voulant, Dieu me gardant, je persévèrerai jusqu’à la fin.

Chapitre 10

Ce même soir, la chère enfant parla dans une des plus grandes églises de la ville et remplit d’admiration ceux qui l’entendirent.

Elle m’écrivit que, lorsqu’elle monta à la tribune pour la première fois, son cœur battait si fort qu’elle eut peur de ne pas pouvoir dire un mot : " Mais, chère mère, ajouta-t-elle, j’ai fait comme vous faites vous-même : j’ai caché ma tête dans mes mains et je me suis perdue en Dieu, et quand le moment est venu de parler, toute crainte avait disparu.

Il me sembla que Jésus était tout près de moi, m’inspirant les pensées qu’il voulait que j’exprime. "

De retour au Refuge, elle parla très peu d’elle-même.

Seulement son cœur était plein de reconnaissance pour ce que Dieu faisait pour elle, elle lui en attribuait toute la gloire.

" Je sais que ce n’est pas du tout moi, disait-elle avec des yeux pleins de larmes, mais Jésus qui a tant fait pour mon âme, car vraiment, je ne puis jamais oublier mon terrible passé ; il m’aide à me souvenir que je ne suis rien du tout, mais qu’il est mon tout en tout. "

Sa santé avait toujours été chancelante ; la nuit qui suivit son arrivée, elle fut réveillée par une terrible hémorragie des poumons, et resta bien des jours ensuite pâle et immobile, mais douce et patiente.

Quelle impression douloureuse me causa la pensée de son prochain départ !

Elle était entrée si profondément dans mon cœur qu’il me semblait impossible qu’elle me quittât si tôt.

Debout près de son lit, mes larmes commencèrent à couler, et quoique pour l’amour d’elle, j’essayais de les arrêter, Délia s’en aperçut et jetant autour de mon cou ses bras amaigris, elle me dit tendrement :

" Mère chérie, ne pleurez pas, si Dieu veut me prendre ! Pensez un peu, ajouta-t-elle avec un regard triomphant, s’il me prend maintenant, j’irai au ciel avec la joie d’une année de service béni ! "

- Oui, ma précieuse enfant, répondis-je avec amour et un service tel que plus d’un chrétien pourrait vous l’envier.

Amis, savez-vous ce qu’a été ce service ? Plus de cent âmes amenées au Seigneur en moins d’une année, onze mois, et combien plus encore en a-t-elle touchées, Dieu seul le sait !

De combien de conversions avez-vous été l’instrument ces onze derniers mois, cher lecteur, ou ces onze dernières années ?

Une fille perdue, lavée dans le sang de Christ, nous devancera-t-elle et fera-t-elle courber nos fronts de honte, ou le récit de ce qu’elle a accompli nous stimulera-t-il à un plus grand zèle pour la cause de notre Maître ?

Un autre jour, comme j’entrais dans sa chambre, elle s’écria avec un visage radieux : " Oh ! mère, il m’a donné quelque chose ! "

Et comme mon regard l’interrogeait, elle continua : " La nuit dernière, comme je ne pouvais pas dormir, je passai heure après heure en prière, et demandai à Dieu de me donner un message comme cadeau pour mon jour de naissance, et il me donna celui-ci : " Elue et scellée pour le Seigneur, " n’est-ce pas magnifique ?

A sa demande, ces paroles furent écrites en grandes lettres et suspendues en face de son lit.

Comme elle aimait à les regarder !

C’est sur ce texte que se reposèrent ses yeux mourants, et quand on lui demanda si, à ce moment suprême, elle sentait qu’elle était vraiment " élue et scellée pour le Seigneur " elle eut un doux sourire, sa figure devint rayonnante d’une joie céleste ; c’est ainsi qu’elle entra dans la glorieuse réalité de cette bénédiction.

Chapitre 11

Je pris une fois Délia avec moi à New-Haven pour présider quelques services.

Pendant son discours dans une des églises, un personnage influent de cette ville éprouva pour son œuvre un si grand intérêt qu’il m’écrivit bientôt après pour m’informer qu’en déposant une certaine somme, il avait constitué un fonds sous la désignation de Fonds de Délia.

Il s’engageait à inviter d’autres personnes à se joindre à lui avec l’intention de continuer, même en cas de mort de Délia, à alimenter ce fonds, destiné à enlever au vice et à la misère ses anciens compagnons de péché.

Chère enfant ! Avant de partir pour le ciel, elle eut la joie d’employer une partie de cet argent, et rien ne lui causait plus de plaisir que d’essayer de rendre les autres heureux.

Ayant accepté l’invitation de parler à une réunion biblique tenue dans la prison de Sing-Sing, je me décidai à emmener Délia pour y rendre son témoignage.

Quand j’eus dit quelques mots sur ce verset : " Je ne mettrai dehors aucun de ceux qui viendront à moi, " (Jean, chapitre 6, verset 37) elle se leva, et comme exemple pratique de la vérité que je venais d’essayer de leur démontrer, savoir : l’amour sans limites du Seigneur, elle raconta son histoire.

Des larmes sillonnaient les joues de plus d’un de ces hommes rudes, et à la fin de notre service, environ trente personnes élevèrent leur voix en prière.

Dans ce grand auditoire de prisonniers, un monsieur qui avait certainement connu de meilleurs jours sembla particulièrement ému.

Jusqu’à cette heure, il s’était vanté de son incrédulité, et lorsqu’il entra dans la chapelle, l’expression cynique de sa physionomie dénotait un dessein arrêté non seulement de rester indifférent à tout ce qu’il entendrait, mais encore d’en faire un sujet de raillerie.

D’un pas à l’autre, entrainé par la séduction du péché, il se trouvait derrière les barreaux d’une prison avec plus d’un amer regret, surtout à l’égard de ceux qu’il aimait et avait ainsi déshonorés.

Enfermé cette nuit-là dans sa cellule solitaire, récapitulant ce qu’il avait entendu dans l’après-midi, il sentit un grand désir de quelque chose qu’il ne savait comment définir, et la pensée se présenta plusieurs fois à son esprit qu’après tout, il se pourrait bien qu’il y eut un Dieu.

Le texte : " Je ne mettrai dehors aucun de ceux qui viendront à moi, " revenait constamment sur ses lèvres, et presque sans s’en apercevoir, il se trouva à genoux sur les dalles de sa cellule, criant à Dieu que s’il existait, il voulait bien avoir pitié de son âme.

Et le Christ, qu’il avait si longtemps rejeté, ouvrit tellement les yeux de son entendement, qu’il l’accepta comme sa lumière et son salut.

Depuis ce moment-là, il a réalisé l’efficace du sang qui purifie, et a persévéré dans la connaissance de Dieu.

Bientôt, un désir intense s’éleva dans son cœur de tendre une main secourable à ceux qui sont sans Dieu, et, avec beaucoup de prières, il écrivit quelques pages touchantes sur le texte qui l’avait amené au Sauveur.

Comme le jour approchait du premier anniversaire de Délia depuis sa conversion, elle éprouva un urgent désir de réunir autour d’elle ces gens de la bande de Mulberry Street, et le mal qui la minait ayant cédé pour un temps, elle fut merveilleusement fortifiée pour cette œuvre, à l’étonnement de tous.

Une grande chapelle nous fut cédée pour ce soir-là et quelques amis se dispersèrent pour porter, non seulement à Mulberry, mais dans les mauvais quartiers de New-York, une carte ainsi conçue :

DELIA

Connue sous le nom de " l’Oiseau bleu "

Vous invite à

Un souper gratuit

Lundi soir 30 mai, Park Street, 63

Venez et amenez vos amis

A chacune des trois portes stationnait un de nos évangélistes, mon mari dirigeant l’ordre de la soirée.

La foule se pressait bien avant l’heure indiquée, et il y avait grand danger que quelques-uns fussent écrasés ou blessés.

Nous ne laissâmes entrer que 150 hommes à la fois.

Délia les accueillait à mesure qu’ils entraient, et ils se mettaient à table.

Quand ils eurent fini, nous les fîmes sortir par une autre porte et deux de nos évangélistes les conduisirent à la chapelle.

Avec des regards méfiants, ils se faisaient d’abord des signes les uns aux autres ; puis ils prirent bravement le parti d’être heureux, surtout lorsqu’ils virent arriver à leur tour les hommes qui leur avait succédé à la table du souper.

" Attrapés ! " disait l’un à demi-voix. " Nous sommes dedans ! " disait un autre.

Lorsque tous eurent été nourris, nous envoyâmes les copieux restes du repas à la foule qui stationnait aux portes ; un pauvre boiteux dût être laissé dehors, mais on ne l’oublia pas, car quelques amis se privèrent de leurs sandwichs et de leurs gâteaux, les fourrant dans leurs poches pour les lui porter ; ce que voyant, un de nos amis leur donna double ration.

Plusieurs femmes firent de même se souvenant de celles qui n’avaient pas pu entrer.

Avec un doux sourire et une parole de bienveillance pour chacun, la chère enfant les considérait, et des pensées de reconnaissance montaient dans son cœur au souvenir du bien que Dieu lui avait fait et lui faisait encore.

Les hommes suivirent ses moindres mouvements, et étaient touchés de voir la bonté qu’elle témoignait aux plus dégradées de ces filles perdues.

Un homme dit en entrant, regardant avec admiration la figure de Délia : " Bluette, je ne suis pas venu ici pour le souper, mais seulement par respect pour vous. "

Un autre la saluant : " Tenez ferme et Dieu vous bénisse, Oiseau bleu ! "

Nous montâmes sur l’estrade et nous les invitâmes à chanter et à prier.

Puis, Délia leur fit un discours qui ne sortira jamais de leur mémoire.

De différentes parties de la chapelle on lui criait : " C’est ça ! Vous avez raison ! Dieu vous bénisse ! "

Lorsqu’elle eut fini, il y eut comme un murmure d’applaudissement que je réprimai en élevant la main.

On nous avait conseillé d’avoir des agents de police pour empêcher le désordre ; mais je refusai positivement cette proposition.

D’autres personnes apportèrent leur témoignage ou leur parole de sympathie et d’encouragement ; puis la réunion se termina, après que plusieurs des invités furent venus s’agenouiller pour demander grâce ou réclamer des prières, tandis que les autres regardaient gravement et en silence.

Oh ! ce fut une belle soirée qui sera rappelée à la gloire de Dieu dans les annales du ciel.

Il était une heure du matin quand nous dîmes adieu à tous, touchant la main à ceux que nous pûmes atteindre.

Quelques semaines plus tard, Délia eut une nouvelle crise d’hémorragies, et nous sentîmes que ses jours étaient comptés.

Chapitre 12

Un jour, que je proposais à Délia d’emmener dans les " caves " quelques personnes, elle refusa de le faire, disant avec beaucoup de sentiment : " Il y a tant de gens qui y vont par pure curiosité, et comme ces hommes et ces femmes étaient autrefois mes compagnons, je sens qu’ils ont des âmes à sauver et des cœurs qui doivent être touchés, et je ne pourrai supporter qu’on allât simplement pour les regarder. "

Ces gens étaient continuellement sur son cœur, et durant sa maladie, elle demanda qu’il leur fût permis de venir la voir, " car, ajouta-t-elle, je voudrais en sauver autant que possible ! "

Et quand cette autorisation eut été donnée, elle disait souvent : " Que Dieu est bon ! Il sait que je ne puis plus aller vers les pécheurs ! Ainsi il me les envoie ! "

Quel travail elle accomplissait vis-à-vis de ses pauvres visiteurs, quoique ce fût pour elle un effort de respirer !

Un après-midi, je la trouvai ainsi, respirant avec peine mais luttant de tout son pouvoir pour amener au Seigneur deux prisonniers libérés.

En entrant, je compris que le moment était venu de mettre un terme à cette scène, et je dis : " Mettons-nous à genoux près du lit de Délia et prions. "

Et il plut au Seigneur d’ouvrir les cœurs de ces deux hommes, qui se relevèrent pleins de joie et du saint désir de le servir et de l’aimer désormais.

O lecteur, en avez-vous fait autant pour Christ ? Lui avez-vous donné jusqu’à votre vie ?

Un grand nombre, à cause de leur manque d’habits convenables, n’osèrent pas se rendre auprès de Délia ; mais elle leur envoya de sérieux messages.

Béni soit Dieu ! A mesure que les pauvres visiteurs redescendaient cet escalier qu’ils avaient gravi avec appréhension, leur pas était plus léger, leurs cœurs plus heureux, leurs visages moins désespérés ; plusieurs même avaient fait le premier pas dans la vie nouvelle.

Il est vrai que cette œuvre fatiguait notre chère malade et qu’elle y usait son peu de forces.

Mais qui aurait pu résister à ces regards suppliants, à cette soif ardente de travailler jusqu’à la fin au service de son Maître ?

Quelque temps avant son départ, elle me dit :

" Comme aujourd’hui je me sens un peu plus forte, je vais vous dire quelque chose qui est sur mon cœur. Asseyez-vous un moment, mère chérie. "

Alors, avec un grand calme, elle me donna ses directions pour ses funérailles.

Elle avait pensé à tout, même à son dernier vêtement, et après m’avoir donné des messages pour les uns et les autres, et distribué ses petites richesses, elle ajouta, me regardant avec la plus grande tendresse : " Quant à vous, chère mère, je n’ai rien à dire. "

Elle avait essayé de traduire en paroles les sentiments dont son cœur était rempli à mon égard, sans jamais y parvenir ; mais ses actes ne parlaient-ils pas bien haut de son pur et tendre amour ?

Ses regards interrogateurs, lorsqu’elle voyait un nuage sur mon front ; le soin qu’elle mettait à le dissiper par un mot de joyeuse confiance… n’était-ce pas assez pour moi ?

Et comme elle était liée à mon âme ! Quelques-uns s’étonnaient de cette ardente affection ; mais c’était un amour donné de Dieu, c’est pourquoi inexplicable et d’autant plus réel ; et je suis convaincue que c’est le seul lien par lequel ces pauvres égarées peuvent être attirées dans le royaume des cieux.

Ce n’est pas de condescendance qu’elles ont besoin, c’est d’amour.

Lorsqu’elle fut un peu plus calme, elle me rappela auprès de son lit, et me voyant encore surmontée par l’émotion, elle m’attira auprès d’elle, puis tendrement, elle me dit :

" Ne pleurez pas, je vous en prie, ce n’est pas bien ; car voyez, je vous serai plus utile après mon départ que je ne le suis maintenant, moi, pauvre fille malade. "

A mon regard interrogateur, elle répondit : " Quand j’arriverai au ciel, je demanderai à Dieu d’être votre ange gardien, et je vous garderai à tout moment. Ne sera-ce pas délicieux ? Ainsi ne pleurez plus. "

Depuis ce moment-là, elle ne versa plus une larme, et quoiqu’elle s’attendit à vivre un peu plus longtemps, elle était bien préparée à aller à la rencontre de Dieu.

Pensant toujours aux autres, elle avait recommandé à la garde, au cas où elle s’endormirait, de ne pas oublier la jeune fille malade aussi, qui couchait dans la chambre voisine, mais de lui faire prendre un peu de bouillon.

Deux heures plus tard, portant sa main à sa tête, elle s’écria : " Quelle est cette étrange sensation ? Qu’est-ce que c’est ? "

Par l’expression de son visage, la garde comprit la vérité, et se hâta d’appeler auprès de son lit ceux qui l’aimaient.

Point de combat, point d’agonie, un soupir et elle était avec Christ.

Elle put nous parler jusqu’au dernier moment.

On lui demanda si Christ était une réalité pour son âme.

Un sourire radieux illumina son visage.

Ce fut une glorieuse entrée dans la plénitude de Dieu ; point de crainte, une parfaite paix et une joie inexprimable jusqu’au bout.

Avant son départ, son père, qui s’était réconcilié avec elle, lui avait demandé très instamment de faire venir un prêtre, ce qu’elle avait refusé avec énergie.

" Pourquoi cette résistance ? " avait-il demandé.

- Parce que je vais directement à Dieu, répondit-elle.

Sans être influencée d’aucune manière, par la lecture attentive du Psaume 27, Délia avait d’elle-même renoncé aux formes de sa religion pour prendre Christ, et comme on l’interrogeait un jour sur ce qu’elle dirait à ceux qui lui demanderaient si elle était catholique ou protestante ?

- Ni l’un, ni l’autre, répondit-elle avec vivacité ; car je suis toute pour Jésus.

Lecteur, êtes-vous tout pour Jésus ?

Chapitre 13

Un autre jour, son père, se penchant sur elle avec anxiété, lui dit : " O mon enfant, j’espère que ton âme sera sauvée ! "

- " Oui, répondit-elle joyeusement, je sais que je suis sauvée ; ainsi vous n’avez pas besoin de l’espérer. "

Il la regarda avec étonnement, touché de sa réponse et des témoignages d’affection, fleurs et fruits envoyés par des amis qui lui montraient ainsi leur amour ou leur respect.

Plus tard, quand sa sœur essaya de la persuader de faire venir un prêtre, le père lui imposa le silence en disant : " Laisse-là, ce qu’elle a reçu je ne prétends pas le savoir ; mais je vois que cela la rend heureuse, et je déclare que cela me satisfait aussi, et je crois qu’après tout, elle sera sauvée. "

Oui, Christ est un Sauveur suffisant !

En face de ce départ glorieux, ce père commençait à le comprendre.

Puisse-t-il l’accepter un jour comme tel pour lui-même.

On m’avait dit que le corps de Délia était couvert de cicatrices ; mais jamais je n’aurais pu croire qu’il fût aussi marqué : coupures, meurtrissures, plaies provenant de coups de couteau.

Pauvre enfant ! comme les cruels stigmates de sa vie passée firent couler mes larmes !

Après sa mort, j’eus le sentiment qu’aucune autre main que la mienne ne pouvait la toucher ; et, aidée de la directrice et de la garde, je préparai son corps pour la sépulture, l’habillant d’une robe en laine douce et moelleuse, et mes pleurs ne s’arrêtèrent que quand cette pensée se fut emparée de mon esprit :

" Christ aussi l’a marquée de son sceau et cette marque-là subsistera pour raconter l’amour rédempteur envers ma pauvre fille perdue, tandis que celles que lui a faites le péché disparaitront pour jamais.

A sa requête, elle fut déposée dans une bière doublée de blanc et une rose fut placée dans sa main.

Sur sa poitrine, nous attachâmes les signes emblématiques du Refuge ; une ancre d’argent portant trois lettres, les initiales de ces trois mots : Passé – Enseveli – Oublié, – petite broche qu’avaient seulement le droit de porter les jeunes filles qui promettaient avec l’aide de Dieu de ne plus retourner au mal.

Point de tentures noires ; du blanc partout comme elle l’avait désiré ; une branche de rose était suspendue à la sonnette de la porte d’entrée et liée avec un ruban blanc.

La rose, faible instrument de sa glorieuse conversion ; le blanc, emblème de la justice de Christ dont la pureté avait ouvert les portes du ciel.

Le soir qui précéda le service funèbre, nous reçûmes la visite d’un pauvre homme, pas très présentable, mais agité, qui nous demanda s’il pouvait la voir.

La permission lui en fût accordée, et entrant dans le salon, il recula d’un pas et dit à mi-voix : " Oh ! il y a une réalité dans cette religion ! Quelle magnifique bière ! Quand je pense qu’elle aurait eu une caisse en sapin dans le champ des maudits ! "

Puis, s’avançant, il regarda longtemps cette figure qu’il connaissait si bien et écouta quelques mots d’appel que lui adressa la directrice.

Puis, il tomba à genoux près de ce corps sans vie et demanda à Dieu d’avoir pitié de son âme, comme il avait eu pitié de celle de Délia pour l’amour de Christ ; quelques moments après, il se releva joyeux avec l’assurance que sa prière était exaucée.

Une heure après, il revint avec un bouquet de roses, disant que, quoique ce fût peu de chose, il désirait que ce bouquet fut placé sur la bière.

Ces roses étaient le prix du coucher de ce pauvre homme, et pour les avoir achetées, il se promena dans les rues de New-York durant cette froide nuit.

Oh ! si tel est l’amour humain, que doit être l’amour de Dieu ?

Avons-nous jamais fait un pareil sacrifice pour Jésus ?

Encore une leçon donnée par un des plus misérables spécimens de l’humanité.

Le résumé de cette touchante cérémonie a été écrit dans un journal religieux par un témoin oculaire qui s’intéressait profondément à la chère fille, objet de tant d’amour et de respect.

Chapitre 14

" Après avoir constaté qu’aucun signe de deuil n’avait accompagné ces funérailles, quoique aucun œil ne fût sec dans ce nombreux auditoire, le narrateur continue :

" Vers onze heures, le service commença par le chant d’un cantique que Délia avait elle-même choisi : " Crois et obéis. "

Une prière par M. Simpson, puis un autre cantique, " son témoignage " comme elle le nommait : " Il y a un rayon de soleil dans mon âme aujourd’hui. "

Ensuite M. Simpson parla d’une voix émue de la manière merveilleuse dont Dieu s’était servi d’elle depuis qu’elle avait accepté Jésus pour son Sauveur, et en tira quelques leçons puissantes.

Il lut aussi plusieurs passages de la Bible et donna la parole à Mme Whittemore qui, dit-il, à mieux connu Délia qu’aucun de nous.

" Elle se leva, et d’une voix sympathique, quelquefois empêchée par les larmes, elle nous raconta en détail l’état d’abjection où elle avait trouvé la pauvre fille et sa glorieuse conversion.

" Cette histoire, nous la connaissons : nous avons suivi pas à pas l’œuvre de Dieu si prompte, si profonde, si pratique pour le bien d’un grand nombre d’âmes, et cette douce fin que le Seigneur accorda à Délia.

" M. Whittemore parla ensuite avec beaucoup de sentiments sur ce qu’elle avait enseigné par sa vie chrétienne conséquente.

" Enfin, le Dr. Kittridge termina le service par un pressant appel à tous les assistants de suivre le Seigneur avec autant de persévérance ; il appuya sur les victoires de cette vie donnée à Dieu, et demanda dans une touchante prière que tous puissent prendre une position plus ferme de simple confiance en la bonté de Dieu.

" Dans la soirée du même jour fut célébré un autre service à la chapelle où elle avait réuni ses anciens compagnons le 30 mai, jour anniversaire de sa conversion.

" M. Whittemore le présida et lut le Psaume 27 en y ajoutant des explications très appropriées qui touchèrent un grand nombre de ceux qui étaient présents.

" Quatre des amis qui avaient accompagnée Mme Whittemore à Mulberry Street apportèrent aussi leur tribut de regret et leur témoignage à la grande puissance de Dieu.

" D’autres personnes prièrent et exhortèrent avec une tendre compassion l’étrange auditoire réuni en cette circonstance, et l’on aurait pu dire après tout que ce n’était pas une tâche bien difficile d’atteindre les cœurs de ces pauvres créatures.

" Une autre prière de Mme Whittemore où les reporters de journaux ne furent pas oubliés ; puis cette scène touchante où chacun défilant devant la bière ouverte fit ses adieux à l’amie qu’ils ne devaient plus revoir ici-bas.

On distribua une rose blanche à tous ainsi qu’un petit traité ayant pour titre " Un mot de Délia. "

" Sur le cimetière, dans l’endroit réservé aux hôtes du Refuge, où fut déposée la fille perdue blanchie dans le sang de l’Agneau, on chanta des cantiques, on répandit des fleurs.

Là, le corps de Délia se repose en attendant le jour de la résurrection.

Chapitre 15

Dans un petit sac qu’elle portait toujours, je trouvai environ cent francs ; c’était tout l’argent qu’elle possédait.

Je le regardai comme sacré et je résolus de l’employer à quelque œuvre qui l’intéressait particulièrement ; et ayant trouvé plusieurs photographies d’elle prises à différents moments, j’en choisis deux qui, reproduites et vendues, devaient augmenter cette petite somme ; puis avec prière, je consacrai le tout en son nom à Dieu pour la diffusion de l’Evangile dans notre contrée et en pays païens.

Déjà la vente de ces photographies a donné de merveilleux résultats, puisque 250 francs ont été envoyés en Chine, 250 francs à Haïti et aux Indes, et 125 francs à la nouvelle mission pour le relèvement moral à New-York.

Trois mois après son arrivée dans notre maison, Délia eut le désir de poser pour sa photographie.

Elle ne savait pas combien sa physionomie, quoique déjà changée, était encore étrange ; les marques du péché s’y voyaient encore, surtout cette cicatrice en haut du front, à l’endroit où les cheveux avaient été arrachés.

Je consentis néanmoins ce qu’elle désirait.

Jamais je n’oublierai le sentiment d’humiliation qui l’envahit jusqu’au dégoût lorsque, regardant ce portrait elle s’écria : " Oh ! Est-ce que je ressemble à cela ? "

Je réunis les cartes et les enfermai dans mon bureau ; mais six mois environ avant sa mort, je la priai de poser de nouveau.

Quelle différence ! Une figure plus douce peut-elle être reproduite, tout illuminée de l’amour de Dieu ?

Plaçant ces deux cartes en regard, je remarquai que le contraste était si frappant, qu’il illustrait d’une façon merveilleuse l’œuvre de la grâce, même sur une figure humaine ; et c’est ce qui me décida à les réunir et à les vendre au profit des missions.

Résultats

Les résultats de cette belle vie chrétienne pendant dix-huit mois ont été admirables.

Un monsieur qui demeure à cinq cents milles de New-York arriva un matin chez moi ; il avait fait exprès ce grand voyage pour avoir le plaisir de me raconter le bien qui s’était produit par la simple lecture de l’histoire de Délia dans l’endroit qu’il habitait.

Dans un service public à l’église, où fut faite cette lecture, une femme d’une mauvaise réputation, bien connue, en fut si profondément touchée qu’elle fut amenée à accepter Jésus pour son Sauveur.

Après avoir expliqué l’emploi de son immense maison, elle ajouta que désormais, elle avait l’intention de la consacrer au Seigneur pour relever les pauvres filles qu’elle avait attirées dans le dessein de les exciter à toutes sortes de péchés.

Elle y en entretenait à la fois plus de cent.

Peu de temps avant la dernière maladie de Délia, un homme riche de Saint-Louis fut vivement intéressé par le récit de sa conversion, et pensa que si une chose aussi petite qu’une rose avait pu produire une telle bénédiction à New-York, on pourrait peut-être faire une œuvre dans sa ville natale.

Il vint pour nous voir avec un ami, et tous deux nous accompagnèrent dans les mauvais quartiers de la basse ville.

Emus de pitié et de sympathie, les deux Messieurs, de retour à Saint-Louis, se mirent immédiatement à l’œuvre et ouvrirent bientôt une salle de Mission où de nombreuses âmes dont déjà été sauvées et rachetées.

Oh ! Quelle succession de joyeuses surprises raviront notre Délia dans l’éternité.

Dans une ville de Pennsylvanie, les gens enthousiasmés de son magnifique relèvement se sont unis pour fonder un Refuge semblable au nôtre, pour les pauvres filles de cette localité.

Que Dieu veuille bénir tous ces efforts pour le salut d’un grand nombre d’âmes.

Après les funérailles eut lieu une étrange réunion dans une des caves souterraines de Mulberry Street.

Quelques hommes bien pauvres se formèrent en club et discutèrent sérieusement s’il était possible ou non qu’ils se réformassent et devinssent des hommes laborieux et honnêtes.

La vue de leur ancienne compagne et les tendres paroles adressées par plusieurs chrétiens à tous ceux qui étaient présents, les avaient profondément touchés.

Cette impression prit racine dans les cœurs, et ils se réunirent afin de délibérer sur le sujet.

Plusieurs plans furent suggérés, et ils terminèrent leur entretien par un engagement solennel de rester près des uns et des autres, de s’aider mutuellement à atteindre la respectabilité après laquelle ils soupiraient, et de nommer un comité de trois hommes qui me soumettrait par écrit la détermination de tous.

Je reçus cette lettre au moment où, accablée de tristesse après les excitations de cette douloureuse journée, je pleurais à l’idée de ne plus revoir la chère enfant qui m’avait appelé du doux nom de mère.

Quel baume consolant elle apporta sur ma blessure :

Elle est ainsi conçue :

Chère et excellente amie,

Nous désirons vous écrire quelques mots au sujet des garçons de Mulberry Street.

Nous espérons que vous nous pardonnerez de n’avoir rien dit à l’enterrement de la chère Délia ; mais pour vous dire la vérité, la moitié d’entre nous n’a pas osé se lever et parler, et l’autre moitié, ceux qui n’auraient pas eu honte, ceux-là n’auraient su que dire.

C’est pourquoi nous tenons à vous écrire que personne ne regrette plus sincèrement Délia que nous.

Elle nous a été une amie sincère, et quand elle eut trouvé sa nouvelle vie, elle ne nous a pas abandonnés.

Nous savons que son plus ardent désir était de nous voir quitter le mauvais chemin.

Nous n’avons pas tellement d’amis pour rejeter une affection comme la sienne qui nous à suivis en prison et hors de prison.

Quoique nous soyons de la bande de Mulberry, sa chère figure, ses douces paroles et ses actions vivent toujours dans notre mémoire, et chacun se souviendra qu’elle a été un point brillant dans nos existences misérables.

Ici, nous promettons d’essayer au moins de devenir des hommes tout différents et de faire quelque chose pour nous-mêmes et pour notre Dieu.

Nous ne disons pas que tous tiendront leur promesse ; cependant, nous savons que pour l’amour de Délia, un grand nombre changeront de vie.

Ainsi, Madame Whittemore, nous terminons cette lettre avec l’espérance que vous la recevrez avec autant de joie que nous en avons eu à vous l’écrire, et si nous pouvons faire quelque chose pour vous, appelez vos humbles serviteurs.

H*** ; J*** ; D***

17 novembre 1892

Comment aurais-je pu n’être pas profondément touchée à la lecture de cette lettre ?

Pauvres gens, cherchant dans l’obscurité le chemin conduisant à la lumière !

Le cri de mon cœur fut celui-ci : " Seigneur, que veux-tu que je fasse ? " (Actes, chapitre 9, verset 6)

La réponse ne vint que le lendemain soir ; je résolus de les inviter une fois par semaine au Refuge pour y passer la soirée, et en gagnant leur confiance, attendre et attirer leurs cœurs à Christ.

Une lettre leur fut envoyée à cet effet ; je leur disais de ne pas se préoccuper de leurs vieux habits, puisque personne ne les verrait, excepté la directrice et moi ; puis j’attendis paisiblement.

A huit heures moins quelques minutes, il en vint neuf que je fis entrer au salon, bien éclairé et chauffé pour la circonstance.

Leurs figures étaient propres, leurs cheveux bien peignés, et ils avaient eu l’intention de cirer leurs souliers.

Bien sûr que leurs habits n’étaient pas en harmonie avec l’endroit où nous les recevions, mais par notre manière d’être, ils purent comprendre que nous étions enchantées de les recevoir tels qu’ils étaient et ils furent bientôt à leur aise.

Nous fîmes avec eux quelques jeux simples, puis nous passâmes tous vers neuf heures dans la salle à manger, où un bon souper chaud nous attendait.

Miss Anderson, la directrice, se mit à une table avec quelques-uns ; je me plaçai à une autre avec le reste, et nous mangeâmes, elle et moi, de grand appétit avec nos hôtes.

Quant aux hommes, la manière dont ils engloutissaient ce qui était devant eux nous fit craindre un moment que les verres, les assiettes et les fourchettes ne vinssent à disparaître.

Mais il n’en fut rien heureusement, et vers dix heures, nous retournâmes au salon où ils furent invités à s’asseoir et écouter la Parole de Dieu.

Une Bible fut tendue à chacun, et une chose étrange se produisit : Dans la première Bible que j’ouvris étaient écrits ces mots sur une feuille volante de la propre main de Délia : " Pour Murphy de la part de Délia : Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes les autres choses vous seront données par-dessus, (Matthieu, chapitre 6, verset 33).

Murphy prit d’une main tremblante le livre qui lui avait été destiné, et avec larmes, il s’écria : " O Dieu sois apaisé envers moi pécheur ! "

Comment ne pas voir la main de Dieu dans cette affaire !

Sans doute, elle avait eu l’intention de remettre cette Bible elle-même, et ces mots étaient les derniers qu’avait tracés sa main mourante.

Chacun de nos cœurs fut vivement touché, et il nous sembla qu’elle-même présidait notre réunion.

Après avoir chanté quelques cantiques, nous avons lu le dernier Psaume, et ayant adressé quelques mots d’actions de grâces à Dieu, je les invitais à prier pour eux-mêmes.

Quatre hommes élevèrent leur voix ; oh ! Quelles prières ! Quelle mélodie pour le cœur de notre Père !

- Grand Dieu ! dit l’un, tu sais quels misérables nous sommes ; maintenant, ne veux-tu pas essayer de nous relever un peu et de faire de nous des hommes honnêtes ? Amen.

En terminant, nous répétâmes tous à haute voix la prière du Seigneur, puis nous nous séparâmes avec leur promesse de revenir la semaine suivante, amenant d’autres amis.

De neuf, le nombre s’accrut considérablement ; ce qui fit que nous résolûmes de fonder une véritable société à laquelle nous donnâmes le nom de : " Union en mémoire de Délia ".

Puis une petite médaille leur fut remise plus tard comme insigne ; elle représentait deux cœurs dont l’un plus petit que l’autre, émaillés de blanc :

Sur le petit étaient écrites ces paroles d’Ezéchiel, chapitre 36, verset 26 ; " Je vous donnerai un nouveau cœur " ; le plus grand portait les initiales de DM en émail bleu et une rose au-dessus.

Quand ces médailles arrivèrent, un grand nombre étaient présents et avec admiration et une satisfaction évidente chacun la fixa à son habit.

Et quand nous nous agenouillâmes pour la prière, un pauvre garçon s’écria : " O Dieu ! ouvre les portes toutes grandes pour que nous puissions y entrer ! et dis, ô Dieu, ne veux-tu pas me laver jusqu’à ce que je sois blanc comme la neige. Amen. "

Dans une autre occasion, comme j’étais malade, mon mari leur en porta la nouvelle, leur demandant de prier pour moi.

Une prière qui impressionna particulièrement M. Whittemore fut celle-ci : " Bon Dieu, tu sais que je ne t’ai pas demandé de faveur depuis plus d’une année. Eh bien ! je te promets que je ne te demanderai rien pendant tout une autre année si tu veux guérir Mme Whittemore, vite ! amen !

Dieu exauça cette pauvre prière en me rétablissant si promptement que mes amis même en furent étonnés.

Peu après notre Union se monta à quatre-vingt personnes et le Refuge ne fut plus suffisant pour la recevoir.

Alors, il me sembla plus sage de prendre un autre moyen.

Déjà, à plusieurs reprises, ils avaient manifesté le dégoût de ces antres où les attendaient souvent de profanes discours ou des moqueries sur leur nouveau genre de vie.

Nous pensâmes donc sérieusement à leur trouver un meilleur abri.

Par des circonstances toutes providentielles, nous pûmes louer plusieurs petites maisons offrant la possibilité de loger quatre ou cinq hommes chacune.

Ils s’encouragent au travail et à l’amour de Dieu. Chaque semaine, ils sont visités, et tous les soirs à dix heures, ils s’assemblent pour la prière et la lecture de la Parole de Dieu.

Plusieurs de ces hommes travaillent hors de la ville.

Comme celle de Délia, leur physionomie a changé ; c’est maintenant celle de chrétiens.

Plus tard, nous avons l’intention de louer une salle pour les réunir régulièrement en souvenir de la chère fille qu’ils ont tant aimée, et dont la vie, depuis sa conversion, a été si entièrement dévouée au bien-être spirituel et temporel d’un grand nombre d’entre-eux.

Mme. E. M. WHITTEMORE

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