Sophie GOBAT

" La mémoire du juste sera en bénédiction " (Proverbe, chapitre 10, verset 7).

Le voyageur qui s’est arrêté à Moutier pour entrer dans la jolie vallée située à droite de la voie ferrée, allant de Bienne à Bâle, arrive, après une heure de marche, et en suivant les méandres d’un affluent de la Birse, à Grandval, village du Jura bernois dont les larges toitures hospitalières sont dominées par le temple paroissial.

Tout près de celui-ci, sur la même éminence, sont situés la cure et le cimetière, où une tombe se distingue par sa grande simplicité.

A l’ombre d’un pommier, une pierre plate en marbre gris, à demi-couchée, marquée d’une croix en relief, porte cette épitaphe :

SOPHIE GOBAT

1796 – 1886

A servi le Seigneur en soignant les malades

pendant 52 ans

A Berne et à Préfargier

Heureux dès à présent les morts, qui meurent au Seigneur

(Apocalypse, chapitre 14, verset 18)

Melle Gobat, - sœur de l’évêque de Jérusalem bien connu – n’a laissé ni notes sur sa vie, ni correspondance.

Lorsque, vers la fin de sa longue carrière, s’écoulant tant au service des pauvres que des favorisés de la fortune, on lui demandait d’écrire sa biographie, elle répondait : " Mes péchés, c’est assez si le Seigneur les connait ; quant au peu de bien qu’il peut y avoir eu dans ma vie, en le racontant, je pourrais encore m’en glorifier. Il vaut donc mieux que je me taise. "

Ainsi les pages qu’on va lire ne contiennent-elles que quelques souvenirs fournis par les amis de Sophie Gobat.

Celle-ci naquit à Crémines, annexe de Grandval, le 24 février 1796.

Elle était l’aînée de quatre enfants et de trois ans plus âgée que son frère Samuel.

Ses parents, gens pieux, assistaient régulièrement au culte public et lisaient, avec les leurs, les sermons de Nardin.

Jamais le père n’aurait quitté la maison pour aller aux travaux de la campagne, fût ce même à quatre heures du matin, sans avoir fait auparavant, le culte domestique.

La famille, vivant des produits de l’agriculture comme la plupart des habitants du vallon, s’était trouvée précédemment dans une position aisée ; mais, à la suite de pertes occasionnées par la révolution française, sa situation matérielle était devenue précaire.

Selon l’usage d’alors, Sophie ne fréquenta l’école que pendant les semestres d’hiver, et fut placée, ensuite, à l’âge de 16 ou 17 ans, en qualité de servante, chez un oncle, établi dans la localité même.

Bien que proche parent, le maître était loin d’être tendre pour sa domestique.

Un jour, pris d’impatience, trouvant que sa nièce ne pressait pas assez le pas, il ferma sur elle une barrière si brusquement que le talon de la jeune fille fut atteint et le péroné brisé.

Sans se plaindre, Sophie, pendant le jour, trainait sa jambe en continuant les labeurs de la moisson.

La nuit, les souffrances, augmentées par la chaleur du lit, l’empêchaient de dormir.

Mais on prit peu garde à son état et ce ne fut que bien des années plus tard qu’elle arriva à se rendre compte de la gravité de son mal.

Un médecin qu’elle avait dû consulter à Berne pour un abcès, lui déclara qu’elle avait eu la jambe cassée.

Etonnée de ce verdict, elle aurait voulu nier le fait, lorsqu’elle se souvint de l’accident de sa jeunesse.

Tout nous engage à croire que ce fut durant ce temps de servitude que Dieu commença son œuvre dans le cœur de Sophie Gobat.

" A cette époque, raconte Samuel Gobat i, plusieurs personnes de notre voisinage furent converties et, parmi elles, ma sœur aînée.

Mais comme celle-ci avait une piété en quelque sorte intuitive et un caractère paisible, sa conversion ne fit guère sensation. "

Malgré cette appréciation d’un témoin oculaire, il n’en reste pas moins vrai, suivant Melle Gobat elle-même, que sa conversion fut marquée par une crise douloureuse.

Le sentiment du péché fut si vif en elle et le poids de la condamnation si réel, qu’elle ne trouvait de consolation ni en elle-même, ni dans son entourage immédiat.

Angoissée, elle se rendit à Moutier auprès de J. H. Mérillat, ouvrier de la diaspora au service de l’Eglise morave, et lui ouvrit son cœur.

Au premier entretien, qui n’avait encore rien changé à l’état d’âme de la jeune fille, en succédèrent d’autres.

Avec mille peines, elle trouvait le temps nécessaire pour renouveler les visites qu’elle entreprenait dans l’espoir de trouver la paix qui semblait la fuir, elle, la grande pécheresse.

Chose singulière !

Ce fut d’une boutade de l’Evangéliste que Dieu se servit pour amener enfin un changement.

Ne sachant plus que répondre à sa visiteuse, dont il n’avait pas réussi à faire cesser les plaintes : " Voyez, lui dit-il, cette jeunesse qui s’amuse – et du doigt, il montrait un groupe de jeunes gens sautant sur la pelouse, - essayez d’aller danser, peut-être cela vous fera-t-il du bien ".

Il suffit de ce mot pour faire tomber le mur qui séparait Sophie Gobat de son Sauveur.

Aller danser, elle ? Jamais.

A l’instant même, elle se sentit pardonnée et aimée et put s’en retourner louant et bénissant Dieu.

Peut-être est-ce à la suite de cette expérience qu’il faut placer un autre trait qu’elle aimait à raconter.

Elle se souvint, en effet, jusque dans sa vieillesse, d’un jour où, tout en conduisant sur le pré un char de fumier, elle eut tout à coup une si douce impression du plein pardon de ses péchés qu’elle ne eut jamais oublier la pierre sur laquelle elle se tenait à ce moment.

Dès lors, le cœur de la jeune chrétienne fut en repos, mais la lutte pour l’existence continuait.

Il fallait vivre et faire vivre des parents indigents.

Aussi Sophie Gobat finit elle par échanger son service de Crémines contre une place qui lui était offerte dans la maison d’un frère de J. H. Mérillat, dont la famille recevait un certain nombre de pensionnaires.

L’ouvrage abondait sous ce toit et la tâche de la domestique n’était pas une sinécure.

Sa situation ne devint guère plus facile, lorsque, plus tard, elle entra chez M. A. Bost, suffragant à Moutier.

Le jeune pasteur n’était pas riche et son unique servante eut à s’occuper des enfants, de la cuisine, du jardin et d’une vache.

Elle accepta, enfin, un quatrième service dans la famille de M. P., pasteur à Péry.

Ici encore, il fallait, avec des occupations multiples, faire des merveilles d’économie.

Les maîtres seuls s’accordaient le luxe d’une lampe à huile.

Des buchettes enflammées qu’on plaçait dans un enfoncement du mur disposé à cet effet, devaient suffire à la cuisine.

C’était là, du reste, le seul et unique moyen d’éclairage pour nombre de ménages de ces contrées et de ces temps reculés.

Sans aucune plainte, Sophie Gobat acceptait en outre, une nourriture souvent insuffisante, heureuse de pouvoir envoyer ses gages, péniblement gagnés, au secours du foyer paternel.

La vaillante femme avait plus de trente ans lorsqu’elle fut appelée à l’hôpital de l’Isle à Berne.

Durant de longues années qu’elle passa dans cet asile de souffrance, elle ne se borna pas aux soins des malades, mais sa sympathie entendue et chrétienne accompagnait les pauvres au sortir même de l’établissement.

Aux époques de la St. Georges et de la St. Martin, elle partageait les soucis de ceux qui ne pouvaient payer leur location.

On la voyait alors se mettre en route pour aller quêter chez les riches, souvent fort tard, après les travaux de la journée.

C’est dans une de ces courses, que la rencontra, un soir, un médecin attaché à l’hôpital.

Etonné il l’arrêta et lui dit : " Comment, Melle Gobat, c’est vous ? Que faites-vous donc ici ? "

- " Eh, monsieur, répondit-elle, il faut bien que je sois attelée au char des pauvres. "

Le docteur comprit. " Tenez, dit-il, voilà pour vous aider à le tirer ", et il glissa une pièce de cinq francs dans la main de l’infirmière.

Pour celle-ci se multipliaient, au service de la charité, les expériences de la fidélité de Dieu, envers les plus petits même de ce monde.

Une de ses protégées, empêchée d’assister au culte public faute d’un habillement convenable, l’avait priée de lui procurer au moins un mantelet ; naïvement, elle avait ajouté qu’elle le désirait bleu.

Sophie Gobat, sans faire mention de ce caprice, s’adressa à une amie.

Peu de temps après, elle recevait le vêtement désiré, et l’étoffe était bleue !

Le travail dont Melle Gobat était chargée à l’hôpital de l’Isle était très fatigant et c’était sur son repos qu’elle prélevait le temps nécessaire pour ses visites de pauvres.

Peut-être aurait-elle cependant résisté, grâce à sa forte constitution, si elle ne s’était chargée volontairement du service et des veilles d’un infirmier infidèle qu’elle ne pouvait se décider à dénoncer auprès de l’administration.

Mais peu à peu ses forces s’épuisèrent, l’estomac refusa toute nourriture et elle arriva à un état d’amaigrissement qui donna de graves inquiétudes.

Aussi, bien persuadée d’avoir fini sa tâche, elle demanda sa démission après vingt-cinq ans d’infatigable labeur.

Mais le directeur de l’hôpital hésita à la lui accorder et l’envoya faire une cure d’eau au Gurnigel.

Elle était là, malade et se croyant au bout de sa carrière, quand lui parvint un appel de la maison de santé de Préfargier, naissante alors.

Sophie Gobat déclina cette offre, mais en vain.

On revint à la charge, insistant pour qu’elle assistât la Direction de ses conseils et de son expérience, ne fût-ce que pendant l’organisation de l’établissement, et la servante de Christ finit par céder.

Confiante en Celui qui renouvelle les forces de ses enfants, quelque peu fortifiée par son séjour au Gurnigel, elle s’en alla commencer cette seconde moitié de son activité qui devait durer plus longtemps que la première.

Melle Gobat fut employée à Préfargier, comme gouvernante pour le département des femmes.

Pendant plus de trente ans, elle prêta, en cette qualité, son secours aussi intelligent que dévoué aux directeurs de l’asile.

Les trois docteurs sous lesquels il lui fut donné de servir successivement appréciaient hautement ses dons et sa fidélité, et lorsque ses jambes, usées par la fatigue, ne lui permirent plus de descendre ou de monter les escaliers, on lui accorda une aide afin de la conserver encore à son poste.

" On m’a donné d’autres jambes ", disait-elle en plaisantant sur cet expédient.

Obligée, par ordre du médecin, de rester étendue dans son lit la matinée, elle n’en était pas moins utile.

C’était auprès d’elle que le docteur venait, chaque matin, écrire ses ordonnances après s’être entretenu avec elle de l’état de ses malades.

Sa fermeté, sa sévérité même imposait à ces derniers, et son autorité était sans conteste.

Cette individualité puissante ne passait point inaperçue.

On l’aimait ou bien on lui gardait rancune.

Avec l’attachement d’une pensionnaire à la personne de Melle Gobat, coïncidait généralement une amélioration de l’état mental de la malade ; le contraire était mauvais signe.

" Es-tu laide, Gobat ", lui dit un jour une pensionnaire qui l’avait prise en grippe.

" Si vous n’aviez jamais dit que des vérités comme celle-là, vous ne seriez pas ici ", répliqua avec sang-froid et modestie celle à laquelle avait été adressé ce compliment.

Ferme jusque dans les petits détails, elle ne souffrait pas de résistance et savait se faire obéir.

Témoin cette dame de distinction, à laquelle, pour la punir, elle refusa le morceau de sucre pour le café.

" Ici, je deviens un vieux loup ", disait-elle parfois.

Et cependant, ce n’était pas là les seules armes dont elle se servait.

Un de ses plus puissants moyens d’action était le culte pour lequel, chaque matin, elle groupait celles dont elle devait s’occuper, culte qu’elle dirigeait avec autant de simplicité que de force.

C’est de ces rendez-vous chrétiens sous le regard de Dieu, qu’elle faisait une sorte de baromètre pour l’état spirituel de ses malades, qu’elle savait discerner au travers de trouble d’esprit.

Mais, sur ce point encore, elle était d’une grande sobriété.

Voyait-elle, chez l’une ou l’autre, l’imagination et la sentimentalité prendre le dessus, on l’entendait dire sans ambages : " Vous, je vous défends de prier. "

C’est ainsi que travailla, pour le bien de plusieurs, et aussi longtemps que le Maître le lui permit, Melle Gobat, devenue, avec le temps, l’un des personnages les plus connus et les plus appréciés de la maison de Préfargier.

Sa fidélité, son savoir-faire et son influence chrétienne ne tardèrent pas à lui valoir la reconnaissance et l’affection de plus d’une famille distinguée.

Dans l’établissement voisin de Montmirail, elle était un hôte toujours bienvenu.

Elle y passait, si possible, une partie de ses dimanches, jouissant de l’accueil qu’on était heureux de lui réserver, et apportant à ceux qui la recevaient plus d’une bénédiction inoubliable.

Il y avait, du reste, dans cette chrétienne de forte trempe une grande originalité et un caractère prime sautier.

Elle était encore à l’hôpital de Berne, lorsqu’elle reçut la nouvelle de l’arrivée en Europe de son frère Samuel.

Celui-ci, lui avait on dit, portait une longue barbe de patriarche qui le rendait méconnaissable pour ses amis de la patrie.

La sœur du vénérable missionnaire avait secoué la tête.

" Cela ne va pas pour un Gobat ", s’était-elle s’écriée.

Enfin l’attendu lui est annoncé et elle le voit pénétrer dans sa petite chambre d’infirmière.

A sa grande surprise, le frère est imberbe.

Alors, avant même de saluer le nouveau venu : " Qu’as-tu fait de ta barbe ? " lui dit-elle.

Et lui, avec son calme ; " Je l’ai coupée pour la même raison pour laquelle je la porte en Orient ; ni ici, ni là, on ne doit me regarder. "

- " C’est bon, reprit Sophie, assieds-toi.

Dans l’automne de l’année 1879, Melle Gobat quitta Préfargier pour prendre un repos bien mérité.

Elle avait alors plus de 83 ans.

Le directeur de Montmirail, Théophile Richard, se fit un plaisir de l’accompagner dans sa retraite de Crémines, où son neveu et sa nièce, M. et Mme A. Gobat, la reçurent avec bonheur sous leur toit.

Une jolie chambre à volets verts, située à l’étage de la maison, l’attendait pour le reste de ses jours.

La famille, aujourd’hui encore, conserve cette pièce telle qu’elle a été du temps de la tante aimée et vénérée dont le bienfaisant souvenir la remplit.

Un lit en fer, un canapé, une table ronde, un fauteuil roulé dans l’embrasure d’une croisée, en composent le mobilier.

Aux parois, les portraits du comte de Zinzendorf, de M. et Mme Samuel Gobat et quelques photographies de personnes particulièrement chères à Melle Gobat.

Sur les rayons d’une modeste étagère, sa grande Bible et quelques volumes du " Journal de l’Unité des Frères. "

Des fenêtres, le regard s’arrête sur le petit ruisseau qui traverse le village et rencontre, au-delà, des vergers, quelques maisons et la montagne aux noirs sapins.

Malgré tout le charme rustique attaché à cette petite propriété, elle devait sembler singulièrement restreinte à celle qui avait vécu, pendant tant d’années, dans le spacieux domaine de Préfargier aux vastes horizons.

Sophie Gobat remarquait-elle la différence ? Nous ne saurions en douter.

Mais le parc s’étendant sur les bords du lac de Neuchâtel, la vue des Alpes, plus d’une facilité de la vie matérielle dont elle ne jouissait plus, tout cela était largement compensé pour elle par la chaude affection dont elle se sentait entourée, et la paix profonde qui remplissait son âme.

" Et que ferez-vous toute seule, quand tout le monde sera à la campagne ? " lui dit un jour une amie en visite.

Tout en portant ses regards sur les portraits de ses bien-aimés, Sophie Gobat répliqua : " Lorsque j’aurai prié pour toutes ces personnes, il se sera écoulé déjà bien du temps. "

Sa chambre, en effet, n’avait pas tardé à être un sanctuaire, un lieu d’intercession et de communion avec Dieu.

Souvent le soir, elle priait à haute voix, prononçant avec d’instantes supplications les noms des amis de près et de loin.

Ceux qu’elle portait ainsi sur le cœur, aimaient à lui envoyer des témoignages d’affection et à la visiter dans sa retraite.

Une dame, pendant des années, lui fit servir un journal quotidien.

Une autre lui fournissait du coton ou de la laine dont elle tricotait des bas et des chaussettes pour l’orphelinat Hartwig, en Bohème.

Telle autre ne la laissait pas manquer de vin ; jamais elle n’en avait usé à Préfargier, trouvant plus que suffisante la nourriture de l’établissement ; mais maintenant elle l’acceptait avec reconnaissance.

Elle eut le plaisir aussi, de recevoir d’un docteur aliéniste en retraite, un beau lièvre, produit de sa chasse.

De nombreux amis, jeunes et vieux, venaient se faire du bien au contact de la piété simple, vraie, et virile de cette chrétienne riche en expériences.

Voyant sans cesse arriver de nouveaux visages, la buraliste de Crémines laissa échapper ce mot d’étonnement : " Mais enfin, qu’est-ce qu’on va toujours voir chez Sophie Gobat ? "

Celle-ci était pleine de charité, sans doute, et patiente en face du faible et du petit, mais elle savait aussi dire la vérité, sans ménagement ni crainte.

Quelqu’un lui ayant demandé son appréciation sur l’usage, devenu fréquent, de presser de jeunes convertis à rendre leur témoignage : " Ce que je pense ? dit-elle, c’est que ce sont des poupons qui viennent de naître et qu’on assomme avant qu’ils sachent marcher. "

Un grand nombre de passages bibliques, gravés dans son excellente mémoire, étaient à sa disposition.

Encore dans sa blanche vieillesse, elle récitait le Psaume 119, qu’elle avait appris par cœur étant enfant.

Au temps où Melle Gobat ne songeait pas encore à se retirer, son frère l’évêque écrivait ces lignes : " Ma sœur aînée s’occupe, depuis près de quarante ans, du soin des malades, et je ne crois pas que, dans cet espace de temps, il se soit écoulé une seule année où elle n’ait amené au moins une âme au Sauveur (2)".

Celle à laquelle était rendu ce touchant témoignage, a-t-elle fait moins de bien dans les jours de sa retraite que dans ceux de son activité ?

Nous ne le pensons pas.

Après même qu’elle eut été atteinte de cécité, on la vit s’entourer de petites filles.

Pendant que ces enfants tricotaient ou lui faisaient lecture, elle déposait dans les jeunes cœurs plus d’un grain excellent qui ne devait point demeurer stérile.

Malgré tout, cependant, elle estimait mener une vie inutile.

De là cet aveu qu’elle confia au jeune pasteur de Moutier, venu pour la voir : " Je ne sais pourquoi le Sauveur me laisse encore sur cette terre ; je n’y fais plus avec ma cécité qu’ajouter maille à maille dont beaucoup s’écoulent, ce qui donne encore de la peine à ma nièce. "

En rentrant chez lui, le ministre se trouva attendu par quelques personnes préoccupées de leur salut.

" Allez, leur dit-il, à Crémines, chez Melle Gobat et parlez-lui de votre âme. "

Le conseil pastoral fut écouté et suivi avec bénédiction pour celles qui l’avaient reçu.

Elles s’en retournèrent de la chambre de Sophie Gobat consolées et la paix au cœur.

Le cas, d’ailleurs, ne demeura pas isolé.

Plusieurs fois encore, dans ce temps de réveil spirituel donné à la paroisse, des groupes de chrétiens craintifs ou angoissés furent adressés à Crémines et en rapportèrent des souvenirs ineffaçables.

Durant l’hiver de 1885 – 1886, les forces de tante Sophie, - c’est ainsi qu’on appelait Melle Gobat dans sa famille, - diminuèrent visiblement.

Aussi, à l’approche du 90ème anniversaire de sa naissance, sa nièce essaya-t-elle de lui faire comprendre qu’il fallait éviter toute fatigue et engager quelques personnes de Bâle, fidèles à faire à l’occasion de la fête de leur amie une visite annuelle, à renvoyer leur voyage à Crémines.

Mais la tante n’en voulut pas entendre parler.

" Vous ne voudriez pas me priver de ce plaisir, objecta-t-elle ; laissez-les venir. "

Un neveu et une nièce accompagnés d’une amie arrivèrent donc, le 24 février.

Toute heureuse, Melle Gobat descendit de sa chambre pour les recevoir.

De chers absents lui envoyèrent des lettres et de petits cadeaux, et la journée se passa paisible et belle.

Après le départ des visiteurs, la nonagénaire, un peu éprouvée, rentrant chez elle, constata avec regrets avoir oublié de remettre à son neveu 40 francs pour l’orphelinat Schneller de Jérusalem.

" Tu sauras, dit-elle à Mme Gobat, que ces deux pièces de 20 francs sont là dans ma cassette. "

Plus tard, à la nuit tombante, la maîtresse de maison remonta vers sa tante qui ne dormait pas et parlait à haute voix.

" Que dites-vous tante Sophie ? " demanda-t-elle.

"- Je m’entretiens avec mon amie, Mme… "

" - Mais elle est morte depuis longtemps. "

"- Qu’importe, elle est ici et elle me parle. "

Quelques instants plus tard, Sophie Gobat passait de ce monde dans les bras de son Sauveur.

Belle vie que celle de cette humble servante de Christ !

Quoi d’étonnant que parents et enfants de sa famille selon la chair, aient conservé l’habitude de dire, en présence de telle joie inattendue ou de telle délivrance signalée : Nous te devons aux prières de tante Sophie.

Que d’autres encore qui, jusqu’aux portes de l’éternité, ont béni ou béniront Dieu de leur avoir fait rencontrer, sur la route obscure et difficile de la vie, cette amie sage, forte et fidèle.

Notice biographique

(Parue dans le journal de l'Unité des Frères)

(1) Biographie de Samuel Gobat, missionnaire et évêque de Jérusalem

(2) Biogr. De Sam. Gobat, p. 16

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