- Non, non, c’est inutile ; ce que je ne comprends pas, je ne l’admettrai jamais, disait B. à son ami H., qui pendant plusieurs heures avait cherché, mais en vain, à ébranler l’incrédulité de son compagnon.
Il s’éloigna tout attristé.
Depuis six mois déjà, il connaissait pour lui-même l’amour et la grâce de Dieu et il avait trouvé la paix par la foi au sang précieux de Christ.
L’état d’âme de son ami d’enfance le préoccupait constamment.
Chaque fois que l’occasion se présentait, il cherchait à lui répéter le message du salut.
Mais il lui semblait que le cœur de son ami ne faisait que s’endurcir de plus en plus.
Pourtant H. ne pouvait renoncer à la tâche qui lui était confiée.
Malgré les rebuffades de B., il revenait sans cesse à la charge.
Rien ne pouvait l’amener à se départir de sa douceur et de sa sérénité et il ne cessait de prier pour son ami.
Un jour les deux amis dînaient au restaurant.
Le repas tirait à la fin et ils allaient se lever de table lorsque, du vestibule, parvint jusqu’à eux une voix d’enfant douce et bien timbrée qui chantait une mélodie connue.
- Quelle jolie voix ! s’écria B., mais au même instant on entendit le garçon qui, d’un ton rogue, ordonnait à la chanteuse de se taire.
- Laissez donc entrer l’enfant, fit B. en ouvrant la porte de la salle.
- Non, protesta le garçon, il nous est absolument interdit de laisser pénétrer des vagabonds dans la salle à manger. Mais si vous voulez entendre cette petite dans le salon de lecture, c’est bien à votre service.
- Pourvu que nous puissions entendre cette charmante voix, l’endroit nous est bien indifférent, répartit B.
Puis se tournant vers son ami : Viens, nous irons dans le salon de lecture.
L’enfant, une fillette de douze ans, les y avait précédés.
Pauvre petite !
La pèlerine usée qu’elle portait sur ses épaules, ne cachait pas sa robe mince à faire pitié.
Sur ses traits amaigris, on lisait une triste histoire faite de misère et de soucis ; tout chez elle criait le dénuement le plus absolu.
- L’enfant parait malade, dit B. ému de pitié. Que peux-tu chanter, ma petite ? veux-tu recommencer cette belle mélodie qui a été interrompue tout à l’heure ?
La petite joignit les mains et chanta d’une voix remarquablement juste et pure un cantique très simple qui parlait de la céleste patrie où Jésus veut conduire ceux qui lui appartiennent.
Les paroles du cantique, comme aussi la voix mélodieuse qui les prononçait, émurent vivement les deux auditeurs.
Lorsque l’enfant eut terminé, B. demanda :
- Où as-tu appris ce beau cantique, mon enfant ?
- A l’école du dimanche, monsieur.
- Crois-tu donc qu’il y a vraiment une autre vie après celle-ci, une vie toute de joie et de paix ?
- Mais, oui, je le sais pour sûr, répondit la petite d’un ton si décidé que son interlocuteur la regarda avec surprise. Oui, là-haut, je chanterai un cantique bien plus beau que celui-ci !
- Tu chanteras ? qui donc t’a dit cela ?
- Ma mère me l’a dit, répondit l’enfant avec un tremblement dans la voix. Elle chantait avec moi avant d’être malade
Ensuite elle me disait que si sa bouche ne pouvait plus chanter, elle pouvait pourtant encore louer le Seigneur dans son cœur et que dans le ciel elle chanterait un beau cantique à Sa gloire.
Autrefois la pauvre maman n’était pas heureuse, mais une dame pieuse est venue un jour chez nous et lui a parlé du Seigneur Jésus qui est descendu dans ce monde pour sauver les pauvres pécheurs.
Alors maman a pleuré beaucoup ; elle a dit qu’elle était perdue et n’avait point de Sauveur.
Moi aussi, j’ai pleuré et je n’avais plus le cœur à chanter.
Je devais souvent lui lire dans le Nouveau Testament que la dame lui avait donné, et un jour je suis arrivée à ce verset : " Venez à moi, vous tous qui vous fatiguez et qui êtes chargés, et moi, je vous donnerai du repos. "
Alors, tout à coup, j’ai entendu maman qui poussait un cri de joie ; elle m’a prise dans ses bras et m’a serrée très fort contre elle en répétant qu’elle avait trouvé la paix, parce que le Sauveur l’aimait et qu’Il lui avait pardonné tous ses péchés.
Et, Monsieur, bientôt après elle est tombée malade et j’ai dû me mettre à chanter dans les rues pour gagner quelques sous parce que le père était aussi couché depuis longtemps.
La pauvre maman a bien souffert, mais elle était heureuse malgré tout et enfin le Seigneur l’a prise auprès de Lui dans le ciel pour qu’elle y chante ses louanges.
En disant ces mots, l’enfant se couvrit la figure de ses mains pour cacher les larmes qui inondaient ses joues.
- Mais tu aimerais mieux vivre ici et chanter tes cantiques que de suivre ta mère dans la tombe, fit B.
- Non, non, répliqua vivement la fillette, j’aimerais bien mieux être avec ma bonne mère. Je sais très bien que je la suivrai bientôt puisque j’ai toujours mal au côté et que je tousse comme elle. Là-haut je n’aurai plus jamais faim ; c’est si beau, le ciel !
- Comment le sais-tu ? demanda l’incrédule.
- Maman me l’a dit.
- Mais ta maman pouvait se tromper.
- Se tromper ! c’est impossible. Elle a lu ces choses dans la Parole de Dieu et Dieu ne ment pas !
Ces simples paroles, prononcées avec une conviction profonde, atteignirent le cœur de l’homme du monde.
Il eut peine à maîtriser son émotion.
Son ami s’en aperçut, mais ne dit rien.
Très ému, lui aussi, H. glissa une pièce d’or dans la main de la fillette.
Emerveillée par ce riche présent, l’enfant remercia et quitta la chambre.
- Viens, nous voulons la suivre, fit B. Je veux pour une fois voir les pauvres dans leur misère.
Les deux messieurs eurent vite fait de retrouver l’enfant ; ils la suivirent sans qu’elle s’en aperçoive jusque dans les faubourgs de la grande ville.
Elle s’arrêta devant une maisonnette de pauvre apparence, ouvrit la porte et disparut.
Après un instant d’hésitation les amis pénétrèrent à sa suite dans un corridor obscur et gagnèrent enfin la chambre où le père malade était couché sur une misérable paillasse.
La petite fille, agenouillée à côté de lui, racontait ses aventures.
Les arrivants purent saisir ces mots :
- Regarde, père, tout cet argent ! deux bons messieurs me l’ont donné. Maintenant je pourrai te procurer un bon bouillon. Le Seigneur Jésus a entendu ma prière de ce matin !
Avant que le malade eût pu répondre, un mouvement involontaire trahit la présence des étrangers.
Avec une joyeuse surprise l’enfant reconnut ses deux bienfaiteurs.
Ils s’approchèrent du lit. Le père leur tendit sa main décharnée en disant :
- Je vous remercie, Messieurs. Que le Seigneur vous rende ce que vous avez fait pour mon enfant et pour moi !
La conversation s’engagea, et B. put constater les effets produits par une foi vivante au milieu de la plus grande misère.
En effet, depuis la mort de sa femme, le père de la petite chanteuse avait aussi trouvé la paix avec Dieu et une riche consolation au milieu du dénuement le plus complet.
Ce fut en promettant de revenir bientôt que les deux amis quittèrent la chambre.
Pendant le mois qui suivit, les amis visitèrent souvent la maison du pauvre.
Malgré les soins dont ils cherchaient à l’entourer, l’homme déclinait et un matin, comme les deux messieurs arrivaient au coin de la rue, ils virent un cercueil sortir de la porte bien connue.
L’homme était mort et la petite chanteuse se trouvait seule au monde.
Les amis trouvèrent l’enfant couchée sur la paillasse que son père avait occupée.
Elle était blanche comme un linge ; ses yeux seuls conservaient tout leur éclat.
- Tu es bien malade, mon enfant, dit doucement B. Souffres-tu beaucoup ?
- Oh ! non, Monsieur, répondit-elle en souriant. Je n’ai mal nulle part. Je suis très heureuse. Mon père s’en est allé au ciel et bientôt le Seigneur viendra me chercher aussi.
Après un instant de silence, elle reprit :
- J’aimerais tant pouvoir vous chanter un cantique !
- Quoi ! tu aimerais chanter ?
- Dans mon cœur j’entends résonner tous les cantiques que j’aime et ils me semblent beaucoup plus beaux encore que lorsque je les chantais moi-même.
Je ne peux plus chanter maintenant, mais là-haut, près de Jésus, je chanterai de nouveau et je ne serai plus malade.
- Aimes-tu donc tellement ton Sauveur que tu désires pouvoir chanter auprès de Lui ?
demanda H.
- Un rayon de joie céleste illumina les traits de l’enfant mourante :
- Si je L’aime, Lui qui a porté mes péchés sur la croix, Lui qui vient me chercher pour que je sois pour toujours avec lui ? oui, je l’aime ; mais… Lui, m’aime encore bien davantage. Il m’aime comme personne d’autre ne peut m’aimer.
Il fixait ses yeux sur le plancher.
La joie de l’enfant lui révélait sa propre misère et la pensée de son attitude à lui en face de la mort traversa son âme comme un poignard.
Il jeta encore un regard sur la figure si heureuse de sa petite amie, puis tout à coup, vaincu par l’émotion, il laissa échapper un sanglot qui le secoua tout entier.
- Oh ! ne pleurez pas, supplia la petite. Voyez donc combien je suis heureuse. Vous avez été si bons pour moi et pour mon père et le père a dit que le Seigneur vous bénirait et vous rendrait heureux…. Mais je suis fatiguée, si fatiguée….
Ses paupières se fermèrent et elle s’endormit.
Les amis échangèrent un regard, mais ne bougèrent pas.
- Ah ! fit tout bas B., je donnerais toute ma fortune pour posséder une paix pareille.
- Tu peux la posséder sans cela, fit son ami. Comme cette enfant, crois simplement au Seigneur Jésus. Renonce à tes raisonnements et courbe-toi devant Celui qui seul peut te sauver. Ton intelligence ne doit-elle pas s’avouer vaincue en présence de la joie de cette enfant mourante ?
Il se tut.
La puissance de l’amour de Dieu avait profondément touché son cœur.
Le sommeil de la petite dura longtemps, mais les amis regardèrent comme un saint devoir de ne pas quitter son chevet.
Du reste, il n’y avait pas à s’y méprendre, la fin approchait rapidement.
Enfin les yeux bleus s’ouvrirent, mais ils parcouraient la chambre sans se fixer et ne paraissaient reconnaître personne.
Il se pencha sur l’enfant.
- Es-tu heureuse, ma chérie ? demanda-t-il.
Elle parut écouter ; puis son regard se dirigea en haut avec une expression de joie indicible ; les petites mains s’agitèrent, cherchèrent à s’élever, mais en vain et, rassemblant ses dernières forces, l’enfant murmura :
- Jésus ! ….. Gloire…. Chanter !
Ses mains se détendirent ; la pauvre tête fatiguée retomba sur l’oreiller ; les yeux se voilèrent ; encore un soupir - et la petite chanteuse s’en était allée là-haut où elle chantera éternellement les louanges du Sauveur qui s’est donné lui-même pour elle.
Immobile, B. regardait le petit cadavre.
L’homme fort qui avait confirmé dans son incrédulité : " Ce que je ne comprends pas, je ne l’admettrai jamais " était vaincu en face de cette preuve palpable de la puissance de la foi.
Son cœur si dur était brisé.
Ce qu’il n’avait pu comprendre, il l’avait là, devant les yeux. Se tournant enfin vers son ami, il lui dit :
- Peux-tu prier avec moi ?
Et près du lit de la petite chanteuse dont la voix ne se ferait plus jamais entendre ici-bas, les deux amis s’agenouillèrent pour supplier et ensuite pour rendre grâces.
Oui, la grâce avait été la plus forte ; B. trouva la paix en croyant au Seigneur Jésus et il put s’écrier :
- Dieu soit loué ! Je sais maintenant que mes péchés sont effacés pour toujours.
Mon coeur joyeux
Mon cœur joyeux, plein d’espérance,
S’élève à toi, mon Rédempteur !
Daigne écouter avec clémence
Un pauvre humain, faible et pécheur.
En toi seul est ma confiance,
En toi seul est tout mon bonheur.
C’est vers ton ciel que, dans ma course
Je vois aboutir tous mes pas ;
De ton Esprit la vive source
Me rafraîchit quand je suis las ;
Et, dans le danger, ma ressource
Est dans la force de ton bras.
Le jour, je marche à ta lumière ;
La nuit, je repose en ton sein ;
Dès le matin, à ma prière,
Tu viens éclairer mon chemin,
Et chaque soir, ô mon bon Père,
Tu prépares mon lendemain.
Je vois ainsi venir le terme
De mon voyage en ces bas lieux ;
Et j’ai l’attente vive et ferme
Du saint héritage des cieux ;
Sur moi, si la tombe se ferme,
J’en sortirai victorieux !
MALAN